CURIOS: les “faux” albums

Un récent article sur Section 26 sur les Boots (excellent groupe rock français sixties) m’a fait penser à un sujet que j’ai envie de traiter ici depuis un certain temps: le cas des “faux” albums. Je prends mon bâton de pèlerin et revoilà un nouvel article dans la rubrique curios (une de celles qui me tient le plus à cœur). Peut-être vous demandez vous à quoi je fais référence en parlant de “faux” albums ? Du surcroît mon questionnement est assez spécifique ! Je m’interroge sur l’existence d’artefacts supposés d’une période mais étant en réalité des faux réalisés ultérieurement. Pour être plus clair, existe-t-il des albums vendus comme des années 60/70/80 mais ayant été en réalité enregistré plus tard ? Pas des albums assumant d’être revivalistes mais au contraire se cachant derrière le nuage de mystère de la bande retrouvée inopinément. Bref je dispose d’assez peu d’exemples mais je suis convaincu qu’il en existe d’autres ! en avez vous en tête ? Voilà mes quelques réflexions sur le sujet en tout cas !

Quelques exemples connus de “faux”

Quelques disques me viennent immédiatement en tête en rapport avec ce sujet mais n’ayant pas poussé la démarche jusqu’au bout, c’est à dire ne pas dévoiler la supercherie.

Le cas des Dukes of Stratosphear est bien connu ! Selon la légende, quand l’EP 25 O’Clock sort, Virgin le vend comme un authentique artefact des années 60 avant qu’XTC ne dévoile le pot aux roses ! J’ai quand même un peu du mal à croire que des oreilles expertes en sixties se soient fait avoir par ce coup marketing. Si l’esprit sixties est là, la production de John Leckie ne respecte certainement pas les codes des enregistrements des années soixante. L’histoire est un peu trop belle pour être crédible, mais peut-être que des lecteurs auront quelques informations sur la perception de ce disque à l’époque ?

Autre exemple qui me vient immédiatement en tête: Faithful (1976) de Todd Rundgren. Le chanteur nord-américain ne cherche pas à tromper les auditeurs mais il n’empêche que sa démarche se rapproche de celle que j’évoque ici. Sur ce disque, Todd Rundgren tente en effet de faire des reprises de ses classiques préférés des années soixante en étant le plus fidèle possible aux enregistrements originaux. Sur une face, il s’attaque donc aux Beatles, aux Beach Boys ou aux Yardbirds (qui avaient inspirés les Nazz !) avec un certain bonheur.

J’ai aussi développé cette thèse pour l’album de Marxist Love Disco Ensemble dans ma chronique pour Section 26. L’album ne revendique pas être un authentique artefact des années 80 mais en laissant planer le mystère sur son (ou ses ?) auteur(s), tout est envisageable !

Nous pourrions aussi mentionné le cas de Klaatu dont il était dit à l’époque qu’il s’agissait d’une réunion des Beatles sous alias… La naissance du groupe Porcupine Tree est également intéressante: Steve Wilson créé un lore autour d’un supposé groupe psychédélique des années 60 et développe ensuite la musique autour.

De l’intérêt de faire des faux

Sur le papier, on peut se poser la question. C’est quoi l’intérêt d’enregistrer un disque et de l’attribuer à un groupe mystérieux plutôt qu’à l’assumer directement ? J’y vois de multiples raisons !

Un musicien peut tout à fait trouver une satisfaction à tromper la vigilance des auditeurs, c’est presque une démarche artistique en soi ! Par ailleurs un artefact est plus à même de générer de l’intérêt et de la curiosité qu’un disque dans un style similaire mais assumé comme étant contemporain. Chez les passionnés de musique il y a souvent ce réflexe de valoriser d’avantage le passé que le présent. Un disque équivalent sera vu comme meilleur s’il a été enregistré en 1967 ou 1983 qu’en 2024.

Je pense que ce réflexe n’est pas aussi absurde qu’il n’y paraît. Quand on fait de la musique dans une période donnée, les enjeux ne nous apparaissent pas nécessairement de manière aussi lisibles que quand on analyse le passé. Les passionnés qui s’intéressent à la musique du passé recherchent souvent des choses précises. Il faut des filtres à appliquer sur le passé pour le comprendre et l’apprécier en quelque sorte. Des genres comme le freakbeat ou le yacht-rock sont ainsi des constructions ultérieures. Les musiciens ne faisaient pas consciemment ce genre de musique sur le moment. Ce sont des collectionneurs et passionnés qui ont créer ces catégories pour mettre un nom sur des choses qu’ils aimaient et cohérentes entre elles.

Celles et ceux qui fouillent le passé le savent fort bien: pour trouver des pépites il faut écouter énormément de choses moyennes oui qui ne nous intéressent pas. Il n’est pas rare d’avoir des 45 tours EPs français avec un morceau fantastique et trois chansons sans intérêt. Il en est de même pour les albums, y compris à des périodes ultérieures aux années 60. Bref, il est tentant de faire un album qui coche dans le 1000 tout le temps plutôt qu’écouter des dizaines de disques pour trouver un morceau ici ou là qui correspond à ce que l’on cherche.

Pour moi il y a en tout cas un intérêt à faire des faux. La retromania décrite par Simon Reynolds a certainement créer une vraie demande économique pour des disques artefacts non publiés à l’époque. Des passionnés y recherchent le frisson de la redécouverte.

La possibilité technique de faire des faux

Si l’intérêt existe, encore faut-il avoir la possibilité technique de faire des faux ! Ce n’a pas toujours été le cas.

Je pense que dans les années 70-80, les techniques de production ont beaucoup changé et l’information ne circulait pas aussi bien aussi bien qu’aujourd’hui. Bref faire un faux dans les années 80 d’un disque des années 60 n’était pas si simple que ça. Certes des ingénieurs sons ont pu travailler sur les deux périodes mais il fallait en plus avoir une connaissance fine du matériel que ce soit les instruments ou les moyens de s’enregistrer.

Aujourd’hui il existe vraiment la possibilité de s’approcher d’une manière incroyablement fidèle au son d’une époque en étant un peu malin et débrouillard. Il y a d’abord une quantité de matériel impressionnante d’occasion des périodes précédentes. Si vous voulez faire un disque de house 90s vous pouvez par exemple acheter facilement tous les synthétiseurs dont vous avez besoin pour se faire en occasion ou neuf. Par exemple, acheter un TX81Z pour avoir le lately bass, un Korg M1 pour les orgues et pianos, un petit sampler AKAI S1000 et une copie de TR-909 neuve chez Behringer. De plus, le savoir existe et a été diffusé sur internet. Celui-ci n’est pas toujours exact mais donne des pistes pour comprendre la manière d’enregistrer dans le passé. Par exemple j’ai dans mes recos youtube en ce moment une vidéo sur comment faire de la jungle 90s. Il y a aussi la chaîne synthmania qui peut permettre de comprendre de nombreuses techniques de compositions et enregistrement des années 80/90. Il en est de même dans le rock, de nombreux passionnés sont capable de s’approcher du son d’une époque à l’aide des informations récoltées et des outils disponibles aujourd’hui.

Des cas (presque) avérés de faux

C’est le point faible de ma démonstration. Je n’ai pas tellement d’exemples avérés (ou très très suspicieux) de faux et pourtant c’est certain qu’ils existent ! J’ai quand même quelques cas très intéressants et fascinants à vous proposer.

Evoquons d’abord le projet Kosmicher Läufer. Je me souviens avoir découvert ce disque sur un forum musical. Les morceaux étaient, soi-disant, des musiques utilisées pendant les entraînements des athlètes olympiques de la RDA. Derrière Martin Zeichnete se cacherait ainsi le musicien écossais Drew McFadyen. Si beaucoup de gens n’ont pas été dupes de la nature inauthentique du projet (Spin, Observer) reste que l’histoire est plus belle que la réalité et a certainement aidé le projet. N’était-ce pas génial d’imaginer des athlètes d’un pays communiste écoutant du krautrock (musique de l’Allemagne de l’Ouest) sur un supposé walkman avant l’heure ? L’Allemagne de l’Est avait d’excellents groupes et défendait (un peu) ceux-ci sur les compilations Hallo mais pour autant il est évident que ce projet cochait trop de cases pour ne pas être un peu suspect !

Autre exemple lié au bloc soviétique, la compilation Soviet Funk du label Secret Stach publiée en 2010. Les commentaires discogs à son sujet sont éloquents ! Par exemple l’utilisateur rollingstone écrit (traduction de mes soins): “en tant que russophone avec une connaissance approfondi du funk, je vous le dit: c’est clairement un faux album. Aucun des groupes apparaissant sur ce LP n’a jamais été entendu dans l’ensemble de l’URSS.” Il n’est pas le seul à pointer du doigt la nature frauduleuse de l’album. Sur les forums, notamment le mythique VG+, les gens aussi furent très circonspects !

Le disque d’Ursula Bogner est un autre exemple connu de faux. Derrière ce nom se cacherait Jan Jelinek. Comme pour la musique des athlètes de la RDA, l’histoire est un peu trop belle. Les bandes auraient été confiés par le fils de la musicienne à Jan Jelinek. Celle-ci aurait été une pharmacienne et aurait eu comme passe-temps de s’enregistrer avec des synthétiseurs (un lien).

Quelques exemples découverts en faisant mes recherches pour cet article:

L’histoire du bateau échoué plein de synthés utilisée pour promouvoir la compilation Space Echo d’Analog Africa a aussi de quoi étonner. La musique elle même est probablement authentique mais j’ai de très gros doute sur l’histoire présentée qui ressemble à un argument marketing pour faire frémir les journalistes. Je pense que ça interroge d’ailleurs leur rôle dans l’intérêt pour ce genre de mythes.

Conclusions

Il est certain que des faux nous échappent et nous sont présentés comme d’authentiques artefacts. Dans les cas évoqués plus hauts, il y a quelques tendances qui se dessinnent:

  • un goût pour les pays qui ne sont pas anglophones (Allemagne, Russie)
  • des musiciens qui auraient enregistré dans leur coin sans jamais diffuser, un peu à la manière des artistes d’art brut/outsider
  • un goût pour les républiques du bloc soviétique
  • beaucoup de musique synthétique, particulièrement de la période 70/80
  • des histoires un peu trop belles pour être vraies.

Ces tendances nous donne aussi quelques clefs sur ce qui animent la communauté musicale à un moment donné. Il est parfois tentant de vouloir réécrire le passé, lui donner une autre allure. Je pense que ces disques répondent à un des interrogations presque inconscientes de nombreux amateurs de musique. Ils se parent de mystères pour mieux séduire. D’une certaine manière certains de ces faux sont comme la post-vérité dans laquelle s’enferme certains militants. Il y a cette notion de vouloir que le réel soit différent pour coller à un discours ou une histoire. En musique cependant, la démarche est plus poétique et intellectuelle. Il ne s’agit pas forcément de rendre le faux vrai mais de l’interroger.

Je pense que l’avenir nous réserve de nombreux faux. Avec le développement de la technologie IA, l’avenir risque d’être cocasse.

Quelques articles avec un sujet assez similaire pour aller plus loin:

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *