Il y a quelques mois j’évoquais avec vous un des grands classiques de la jungle, le génial Original Nuttah de Shy FX et UK Apachi, voici une nouvelle occasion de s’intéresser à cette chère Drum & Bass, avec un maxi emblématique d’Amit: Mk Ultra et Re Order.
Drum & Bass, Jungle ? La même chose ou pas ? Un récent meme nous a en tout cas rappelé que la question se pose toujours ! Pour ma part, je pense que Drum & Bass est un terme plus générique, permettant d’englober tous les sous-genres (tech-step, liquid funk…) des musiques avec un breakbeat tournant quelque part entre 160 et 180 BPM. Je réserve ainsi plus la jungle pour la production 90s avec des breakbeats samplés style Amen break ou Apache, en y incluant le versant ragga jungle. Je trouve aussi que le terme convient bien à ceux s’inspirant de cette approche, tel que Breakage et le génial So Vain.
Mais revenons en à Amit. Au milieu des années 2000, il fait sensation sur la scène D&B, en étant l’un – si ce n’est le – des pionniers du halftime. Ce sous-genre de Drum & Bass consiste à donner l’impression de diviser le tempo par deux. Typiquement la caisse claire et le kick seront à la moitié du tempo des charlestons. Cette technique est par exemple beaucoup utilisé dans la trap pour permettre des lignes de hi hats débridées. Historiquement, nous retrouvons aussi une approche similaire chez par exemple Steely Dan, notamment dans les interventions du génial Bernard Purdie et son Purdie Shuffle. La musique organique peut sembler fort éloignée des velléités dancefloor synthétiques d’Amit pourtant, il y a quelque chose de similaire dans la manière de (dé)construire le groove en séparant le duo caisse claire/grosse caisse des charlestons. Dans un cas il s’agit plus de créer un feeling ternaire (chez Steely Dan) tandis que dans l’autre, Amit tente de s’affranchir de la dictature de la vitesse ou du moins de la détourner.
Je trouve ce maxi du musicien anglais particulièrement réussi à ce titre. La face A, MK Ultra, du nom d’un projet de la CIA bien connu des complotistes, conjugue dub et la noirceur de la tech-step. La rythmique en halftime donne une impression de lourdeur et de puissance telles des rouleaux compresseurs avançant inexorablement. Re Order, l’autre face, est encore plus étonnante. Si elle conserve le halftime, la chanson se confronte à d’autres influences carrément post-punk ! Je suis à peu près convaincu que le titre fait référence, d’une manière ou d’une autre, à Joy Division. Re Order pourrait en effet renvoyer à Disorder (un titre de Joy Division) comme à New Order (le groupe qui prendra la suite de JD). Cette filiation est renforcée par les samples utilisés par Amit. La voix vient de Warsaw tandis que les notes de basses électriques viennent de Digital. Le morceau pourrait, par exemple, être enchaîné avec Turn To Red de Killing Joke.
J’ai repensé à Re Order d’Amit, récemment, en écoutant le deuxième album de The Mauskovic Dance Band. Ces derniers reprennent à leur compte des éléments post-punk et no wave. Ils proposent une musique sombre, influencée par le dub jamaïcain. C’est assez minimal et marqué par les rythmiques. Si ces artistes viennent d’époque, de lieu et surtout de scènes différentes, la connexion entre les deux approches m’a frappé.
Il y aurait beaucoup d’autres choses à dire sur Amit, sur Commercial Suicide (le label de l’excellent producteur Klute) et plus généralement sur scène D&B du milieu des années 2000. S’il y a beaucoup de disques qui ont – à mon avis mal vieillis – je pense que de nombreux artistes (Calibre, Total Science, Beta 2, Cyantific etc.) de cette époque mériteraient une certaine réévaluation, dont Amit. En tout cas, presque vingt ans après je trouve ce maxi tout aussi cool et frais qu’à l’époque !
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