OPINION: quelques réflexions sur les genres musicaux

L’autre jour j’ai vu passer sur twitter un message qui m’a interpellé. En. substance son auteur vendait la diversité du hip hop sur la base du nombres de genres mentionnés sur wikipedia. Il me serait jamais venu à l’esprit de faire dire aux genres musicaux une telle assertion. J’ai pu constater, à travers les années, que les groupes détestaient souvent être associés à eux; pourtant les genres musicaux ont, me semble-t-il une utilité. Quelques réflexions (sans prétentions) sur le sujet !

C’est quoi les genres musicaux ?

Un genre musical est un outil pour appréhender le réel. C’est une construction intellectuel pour mettre ensemble différents artistes. Ces cases sont généralement dotées de critères spécifiques: esthétique, périodique, géographique etc. (je détaille après!) Il n’y a pas une manière unique de définir un genre musical. Un même morceau peut appartenir à différents genres musicaux.

Par exemple Heart of Glass de Blondie est à la fois un morceau new wave et disco-rock. Blondie appartient à la génération de groupes du CBGB à ne pas faire du punk mais une musique qui comporte cependant quelques points communs avec celui ci. La musique de Blondie fait donc partie de la new wave. Heart of Glass est pourtant clairement un morceau disco-rock. De nombreux autres groupes (voir la liste du Guardian et celle-ci) en ont fait mais ne sont pas pour autant des artistes new wave: Kiss, Rod Stewart, Rolling Stones, Electric Light Orchestra, Eagles, David Bowie, Chicago etc.

Je différencierai les genres musicaux des familles (pop, rock, dance music, musiques électroniques, jazz, métal…). Les familles sont plus globales et généralistes. Un genre musical peut tout à fait appartenir à plusieurs familles.

La house et la disco sont toutes les deux des formes de dance-music mais si la première appartient à la famille de la musique électronique ce n’est pas le cas de la seconde. La powerpop appartient autant au rock qu’à la pop tandis que le hard rock peut aussi bien trouver sa place dans le métal que dans le rock.

Des critères

Les genres musicaux sont généralement construits autour de critères communs. Ces critères permettent d’inclure ou exclure (tout aussi important que l’inverse) des morceaux ou des groupes dans ces fameux genres musicaux. Ces critères sont multiples, se chevauchent, se contredisent et sont largement dépendant du contexte, pas simple…

Voici quelques critères qui me semblent pertinents pour définir les genres musicaux:

La période temporelle. Par période temporelle j’entends une délimitation au niveau des années. Celle-ci peut être sujette à des variations selon les usagers. Cette période temporelle me semble néanmoins essentielle pour appréhender un genre musical. Par la force des choses certains genres musicaux sont utilisés pour définir des groupes de périodes différentes. Certains amateurs ont trouvé la parade en précisant l’époque ! Par exemple pour différencier la vague de punk originelle des autres groupes se revendiquant punk, il n’est pas rare de trouver le terme Punk 77. Pour le garage-rock, il m’arrive souvent de préciser 60s quand j’y fais référence.

Le lieu géographique. Le critère n’est pas toujours déterminant mais a parfois son importance. Par exemple pour le rock des années 60 il est d’usage d’utiliser garage-rock pour les groupes nord-américains et beat pour les autres. Cette différence se traduit aussi musicalement en général. Le lieu peut avoir une importance car un genre musical peut émerger d’une scène particulière. Le krautrock, manière moqueuse (à la base) de décrire les spécificités rock progressif allemand, lui même se définissant d’avantage sous le terme de kosmische musik. Aujourd’hui le krautrock est un terme générique mais initialement il décrit plus spécifiquement des groupes de Cologne et Dusseldorf. Quelques autres exemples me viennent en tête: la MPB (Brésil), la chicha (Pérou), le zouk (Antilles française), l’amapiano (Afrique du Sud), rumba catalana (Catalogne espagnole) etc.

L’instrumentation, les effets sonores et les arrangements. La forme est extrêmement importante dans la définition des genres musicaux ! La base est-elle organique ou programmée ? Les guitares sont-elles traitées, si oui, comment ? Quelle est la formation à l’oeuvre sur le disque ? Présence de cuivres ? Présence de synthétiseurs ? Présence d’échantillons sonores ? Bref tout ces éléments sont très importants dans la signature sonore d’un genre musical. Par exemple la baroque pop a des riches arrangements, souvent d’inspiration classique (des cuivres, des violons etc.). Le garage-rock se réfère énormément à la pédale fuzz: je serai même encore plus spécifique, on parle de fuzz typée Maestro plutôt que de Big Muff ! Le dub est un autre genre musical où les effets sonores sont primordiaux. Il repose en effet dans la reconstruction en studio de morceaux reggae en les retravaillant avec de nombreux effets sonores comme les delays ou la réverbération.

Le type d’enregistrement (studio, home studio). Je pense qu’il est possible de recouper ce critère avec le précédent. Certains genres musicaux sont très lié à la manière d’être enregistré. L’exemple le plus évident reste certainement ce qui est désigné sous l’appellation lo-fi. Si l’enregistrement en home studio avec des moyens limités (les 4 pistes tascam) est d’abord une contrainte, il est aussi devenu une esthétique sciemment recherchée.

Le tempo. Le tempo est une donnée plus ou moins essentiel selon les genres musicaux. Dans les genres rock classiques (60/70) il existe à la fois des morceaux rapides et lents. Ce n’est pas une caractéristique centrale dans ce cas de figure. À l’inverse, la donnée est essentielle dans la dance-music moderne. La Jungle/D&B se définit par exemple avec un tempo élevé, généralement à plus de 160 BPM. Il en est de même pour la techno hardcore. La House a traditionnellement un BPM moins élevée que la Techno. On parle de 110-130 pour le premier (et vraiment 120 comme standard) et plutôt de 130-140 pour la seconde. Ces questions de tempo sont essentielles dans la dance-music car ces styles musicaux sont souvent joués en soirée et les dj pratiquent alors le Beat Matching c’est à dire le fait de mixer dans le tempo. Historiquement les disques jockeys jouaient aussi des morceaux dans une gamme de tempo similaire et ils étaient définis avec des termes plus génériques (et disparus) comme Jerk ou Madison en fonction des danses…

La structure des morceaux. Les morceaux suivent-ils une structure pop (couplet-refrain) ou ont-ils une autre forme ? Par exemple le rock progressif s’éloigne de la structure pop traditionnelle et s’inspire souvent du classique à travers l’utilisation de mouvements. L’essentiel de la dance-music moderne s’est aussi affranchi de cette charpente. En D&B ou bass music (et toute l’EDM), le drop se substitue souvent à la dynamique de l’alternance couplet/refrain. En jazz, il est assez courant de démarrer un titre par son thème puis d’improviser sur la grille.

Les accords et leur usage en suites. Certaines musiques, inspirées du blues, suivent souvent des règles précises pour les accords en s’inspirant de la gamme pentatonique. C’est le cas par exemple du rock & roll mais aussi de nombreux genres musicaux issus du rock (british r&b etc.). La gamme pentatonique, quoi que pas obligatoire reste par exemple un ingrédient important des premiers groupes de hard rock (Free, Led Zeppelin etc.). À l’inverse d’autres styles vont faire appel à des accords enrichis de septième ou neuvième ainsi qu’à des accords empruntés à d’autres gammes. Par exemple le son wescoast de la fin des années 70 est souvent assez recherché. Selon les objectifs du genre musicale, le simplicité ou la sophistication décideront du choix des accords.

La métrique et la signature rythmique. La majorité de la musique populaire est en 4/4 (funk, hip hop, rock, disco, musique électronique etc.). Les chiffres indiquent la manière dont est construite une mesure. Le premier chiffre indique la longueur d’un temps, tandis que le second donne le nombre de temps par mesure. Certains genres musicaux utilisent des métriques différentes: le jazz (souvent en ternaire), la valse, de nombreuses genres traditionnelles. La sardane alterne ainsi entre 2/4 et 6/8 tandis que la tarentelle est souvent en 6/8. Le rock progressif est connu pour son usage des métriques originales. L’exemple le plus connu reste certainement Money de Pink Floyd et son 7/8. Burt Bachararch est aussi un adepte des métriques originales.

Le placement des notes (y compris la batterie évidemment). Plus pertinent encore que la signature rythmique, le placement des notes est un élément déterminant des musiques populaires et de la manière de définir les genres musicaux. Le funk, par exemple, accentue généralement sur le premier temps de la mesure tandis que le R&B se concentre sur les contretemps (comme le rock). Certains motifs rythmiques sont quasi-synonymes de genre musicaux. Le backbeat est ainsi une composante majeure du rock. Le four-on-the-floor de la disco est devenue aussi la norme dans la musique house. Le reggae recourt lui souvent au one drop rhythm. Le placement des basses, guitares, claviers, cuivres ou percussions peuvent également être déterminants. La clave par exemple est un élément essentiel des musiques latines (afro-cubaines en particulier), boogaloo y compris ! Elle suit systématiquement un rythme alternant trois et deux coups (ou l’inverse).

La fonction du genre musical. Cela me paraît être un critère très intéressant et souvent oublié par les rock critiques. Je pense que dans certains milieux, une musique qui a une fonction spécifique est moins bien vue que la musique pure. En dehors du fait que cette hypothétique musique pure n’existe probablement pas, la fonctionnalité est une donnée essentiel pour comprendre certains genres musicaux. La dance-music est dédiée à l’écoute sur une piste de danse ! Cette fonction n’a rien de récente, de la valse, en passant par les danses traditionnelles, c’est une récurrence de la constitution de nombreux genres musicaux. Quelques autres fonctions qui me viennent en tête: les bandes originales, la library music, la musique pour se relaxer etc.

Le contexte social et politique. Dans une certaine mesure des genres se construisent comme des alternatives à d’autres. Par conséquent, le contexte fait parti de leur essence même. Le rock indépendant (ou le rock alternatif en France) en est un bon exemple.

Les genres musicaux sont-ils nécessaires ?

Je pense que oui. Quand on aime un groupe, on a parfois envie de s’en servir comme un point de départ pour en découvrir d’autres. Les genres musicaux se révèlent alors très pertinents. Ils permettent de rapidement se faire une idée sur la musique d’un groupe. C’est valable autant pour le passé que les nouveautés. Souvent les nouveaux artistes refusent d’être mis dans des cases. Ces cases, aussi bancales qu’elles puissent être, permettent pourtant à des gens de s’intéresser potentiellement à leur musique. Une alternative (dans les deux cas) consiste évidemment à mentionner des artistes similaires mais elle me semble moins efficace.

Au delà du caractère pratique, les genres musicaux aident à se forger des représentations mentales. Associer ensemble des groupes ou artistes permet de comprendre des dynamiques plus générales sur une époque. Le punk ou le post-punk sont autant des genres musicaux que des moments dans l’histoire de la musique pop. Ils permettent de comprendre un contexte, une période etc.

Bref, les genres musicaux sont autant une nécessité pratique que plus théorique. Ils donnent une représentation de la musique, certes figée, mais qui permet d’y voir plus clair. S’ils sont mal définis car l’usage ne le nécessite pas, ils nous permettent à tous d’avoir une base commune de discussion !

Le risque de canonisation

Les genres musicaux ne sont pas parfaits et montrent parfois leur limite. Ces cases tentent de ranger le réel. Parfois ce réel est très riche et la case trop petite… Il existe alors un risque d’appauvrir un style musical… Dans les faits c’est d’ailleurs ce qui se passe parfois !

Un nouveau style musical apparaît, il expérimente. Un jour un journaliste (ou un musicien) lui donne un nom. La sauce prend et les gens (journalistes, amateurs…) cherchent à en définir les caractéristiques. Une fois que la liste est établie, le genre est canonisé. Si les propriétés sont trop bien définies, il n’y a plus de place à la singularité. La langue vivante est alors en péril. Nuançons cependant. La musique n’a pas besoin de systématiquement renouveler la grammaire pour être intéressante. Sa richesse peut aussi se trouver ailleurs. Une forme classique peut ainsi cacher un fond intéressant et pertinent par rapport à son époque.

Ceci doit nous amener à nous méfier des gens cherchant à imposer une doxa. À l’inverse, utiliser des termes à tord et à travers risque surtout de créer de la frustration et de la déception. Les genres sont donc à manier avec précaution; il ne faut pas s’interdir de les mentionner, correctement !

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