OPINION: ça chauffe à Bandcamp

Si vous êtes sur twitter (ou désormais x), vous avez probablement entendu parler des remous actuels chez bandcamp. Nous vous proposons de faire le point sur ce que l’on sait, quelques réflexions de mise en perspective et d’ouvrir sur un débat plus large du journalisme musical et de l’accès à la musique.

c’est quoi bandcamp ?

Peut être ne connaissez vous pas le site ! Bandcamp est devenu le site de référence pour acheter des disques à des artistes ou des labels. Le portail est devenu incontournable avec une interface dépouillée mais fonctionnelle. Celle-ci comporte un lecteur, une photo de la sortie, des commentaires utilisateurs etc. En une dizaine d’année d’existence, bandcamp est devenu la référence pour la vente en direct dans le domaine de la musique indépendante, dépassant ses concurrents comme big cartel. À l’inverse de ce dernier, bandcamp est dédié à la musique et orienté vers celle-ci. Le lecteur est très pratique pour pré-écouter les disques. Le site a fédéré une communauté, aussi bien du coté des labels/artistes que des passionnés. En plus de l’aspect vente, le site a développé un contenu éditorial de qualité , notamment les fameux bandcamp daily.

Un point sur la situation de bandcamp

En mars 2022, la société de jeu vidéo Epic Games achète le site, pour 273 millions de $. À peine un an plus tard, les éditeurs de fortnite le revende à une société spécialisée en B2B dans la musique: songtradr. Ces derniers ont acquis de nombreuses sociétés dans le domaine de la musique depuis 2020. Ils sont spécialisés dans les licences pour la publicité et les films. L’objectif est de crée une base de données de morceaux importantes pour les mettre à disposition (moyennement rétribution) de professionnels de l’audiovisuel.

Chez bandcamp, la situation a beaucoup évolué depuis les modestes débuts. Les employés ont tenté d’y monter un syndicat en mars dernier. La revente de bandcamp par Epic s’accompagne d’un plan de licenciement prévoyant de réduire de moitié l’effectif du site. À noter que la société mère (Epic) licencie également une partie de ses effectifs. Je suppose que songtradr a posé cette condition pour racheter bandcamp. Ils ont bien sûr annoncé, comme pour tous les achats de ce genre, ne pas vouloir toucher à l’ADN du site.

Le 16/10/2023, les informations circulent sur twitter: les premiers licenciements. Il semblerait que cela touche aussi bien l’équipe technique que les journalistes musicaux en charge de l’éditorial. De quoi avoir de sérieuses inquiétudes sur l’avenir de bandcamp.

pourquoi un tel émoi ?

L’affaire bandcamp prend des proportions importantes dans les cercles indépendants car comme je le soulignais dans ma première partie, le site est devenu le complice de la scène indépendante mondiale. Beaucoup de labels dépendent très directement des ventes sur bandcamp. Nous ne sommes d’ailleurs pas une exception avec Requiem Pour Un Twister ! Le site défend aussi une économie et un modèle qui correspond aux valeurs de beaucoup de ses utilisateurs (professionnels comme passionnés). L’éditorial par exemple, tranche avec les algorithmes anonymes de spotify. La chute de bandcamp serait problématique pour bon nombre d’acteurs indés voir fatal pour certains d’entre eux.

Autre raison pour la grogne: le risque de voir disparaître un site avec un contenu journalistique musical de qualité. Le monde anglophone découvre ce que nous vivons dans la francophonie depuis des années: la disparition progressive de toute source journalistique contemporaine sur la musique. Bandcamp, en plus d’avoir une équipe interne, faisait appel à des freelances et commissionnait des illustrateurs, le tout rémunéré. Avec un pitchfork ayant raccroché le wagon poptimiste, bancamp représentait un des derniers bastions importants (avec une vraie visibilité) pour la musique indépendante.

essayons de garder un peu d’espoir

Licencier la moitié des effectifs est-il une tentative de rationnaliser les coûts pour assurer la viabilité du site à terme ou un moyen de faire de bandcamp une coquille vide ? Nous avons vu, par le passé, de nombreuses sociétés en racheter d’autres pour récupérer de la notoriété mais sans volonté de maintenir l’esprit. Ce fut le cas par exemple de Reworld et Mondadori en 2019. L’autre possibilité n’est cependant pas à exclure: peut-être que le site a été ambitieux sur sa progression récente et a engagé trop d’effectif. Je n’ai pas les chiffres mais il est tout à fait possible d’envisager que bandcamp subisse une crise similaire aux vendeurs discogs: après tout, les causes sont assez universelles. Les prochaines semaines nous en diront plus à ce sujet. Nous verrons aussi si les labels et artistes décident de migrer ailleurs (et où !).

bandcamp: un symbole

Reste que la situation problématique dans laquelle se trouve bandcamp amène une réflexion plus large sur l’état de la musique en dehors du streaming. Quels endroits permettent encore d’envisager un modèle alternatif au milieu très darwinien du stream ? Il pose aussi la question de l’avenir du journalisme musical. Le modèle de bandcamp était assez intéressant à ce sujet: pouvoir financer le journalisme en prenant des commissions sur les ventes. Il y avait à la fois une certaine indépendance éditoriale et en plus la possibilité de faire progresser les ventes: un schéma gagnant-gagnant.

Je ne suis d’ailleurs guère optimiste sur l’avenir du journalisme musical. Pourtant le besoin existe: avoir des opinions contemporaines est une nécessité dans une perspective historique. De plus, le journalisme peut aussi aider à trouver son bonheur dans la profusion de musique actuelle. Reste à trouver des moyens pérennes de financer cela: trouver des modèles économiques. Ce sera le nerf de la guerre dans les années qui viennent.

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