Depuis quinze ans j’ai écrit plusieurs fois sur le premier album de Jacques Dutronc ! En 2007, dans un hors série Rock & Folk etc. J’avais aussi exploré sa production en EP sur les années 1966, 1967 et 1968 sur Requiem Pour Un Twister. Il existe un paradoxe Dutronc: figure essentielle du rock français, il est avant tout l’homme d’un album et de nombreuses pépites disséminées ici et là.
D’autres me contrediront certainement, oui il y a matière à discuter sur ses autres 33 tours des années 60 mais aucun n’approche la qualité générale du Jacques Dutronc de 1966. Celui-là frôle le sans-faute et fonctionne comme un tout. Si vous devez n’avoir qu’un album de Dutronc dans votre discographie, ce long-jeu inaugural a quelques longueurs d’avance sur ses successeurs.
Jacques Dutronc ne se destinait certainement pas à devenir un célèbre chanteur. Le Parisien apprend la guitare à la fin des années 50. En pleine vague twist, il participe au groupe de rock instrumental El Toro et les Cyclones. Le groupe sort deux EPs et Dutronc y rencontre Hadi Kalafate, avec qui le chanteur va souvent collaborer par la suite. Jacques Dutronc écrit également Fort Chabrol des Fantômes, avec le guitariste du groupe (Thomas Davidson Noton). Celle-ci deviendra par la suite Le Temps de l’Amour de Françoise Hardy !
Après l’aventure du groupe, Dutronc devient l’assistant de Jacques Wolfsohn. Le directeur artistique se tire la bourre avec un autre collègue de chez Vogue: Christian Fechner. Jacques Wolfsohn avait jusqu’ici le vent en poupe. Découvreur de Françoise Hardy ou Johnny Hallyday, il se fait ringardiser par son collègue et sa trouvaille: Antoine. Le normalien va bouleverser la variété française du milieu des années soixante.
Après le succès des Elucubrations tout le monde va chercher son Antoine ! Certains chanteurs ont un profil similaire (Evariste) tandis que d’autres sont ouvertement des parodies du chanteur à chemises à fleur (Edouard). Les deux Jacques sont sur le coup. Ils pensent initialement à Benjamin, un hippy aux cheveux longs. Avec lui, ils enregistrent un EP sur lequel figure une composition géniale de Dutronc (Un Train, classique freakbeat français) et un texte de Jacques Lanzmann. Wolfsohn suggère à Dutronc de faire une composition autour de paroles écrites par le troisième Jacques: cela deviendra Et Moi Et Moi Et Moi. L’histoire est en marche !
Initialement proposée à Benjamin, la chanson ne fonctionne pas avec le chanteur beatnik. Jacques Dutronc s’y colle et le morceau est un énorme succès. Dutronc et Lanzmann deviennent inséparable et persiste dans la veine du tube. Le chanteur parisien publie ainsi trois EP en 1966 qui sont regroupés sur ce premier album.
Jacques Dutronc est un coup de massue. Le guitariste s’éprend de la musique beat en vogue en Angleterre (façon Kinks) et l’adapte à contexte français. Il n’est certes pas le seul à le faire, de nombreux groupes tentent aussi leur chance mais sans le succès du parisien. Il faut dire que Jacques Dutronc se montre particulièrement convainquant dans le registre. L’association entre les textes acides du rédacteur chef de Lui et les riffs efficaces du chanteur sont imparables. Le duo enquille les titres dans la veine d’Et Moi Et Moi Et Moi.
En plus des classiques du rock français (Les Cactus, Mini-Mini-Mini, La Fille du Père Noël…) figurent des charges électriques telles que Sur Une Nappe de Restaurant, Les Gens sont Fous, les Temps sont Flous ou On Nous Cache Tout On Nous Dit Rien. Sur quatre morceaux l’album s’autorise à changer de registre. La mythique Les Playboys est presque rétro tandis que l’excellente L’espace d’une Fille se pare d’influences folk-rock. Les deux autres morceaux (L’opération, La compapadé) sont certainement les points faibles d’un album par ailleurs très solide. La Compapadé, en particulier, a très mal vieilli et détonne (en mal) par rapport au reste de ce premier 33 tours.
Jacques Dutronc frise ainsi le disque de rock français ultime, à quelques minutes près ! Peu importe, cela reste un grand album d’ici. Jacques Dutronc ne retrouvera d’ailleurs jamais les mêmes excellence et efficacité. Tous ses disques suivants ont ainsi leur moment mais manque de la cohérence de cet album de 1966, presque parfait.
Note personnelle: 4,5/5
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