Il y a une sorte de pensée récurrente chez les passionnés de musique: la musique actuelle est aussi bien que toutes les autres périodes historiques l’ayant précédée si tu sais chercher. À travers ce texte je veux nuancer ce discours, en particulier la deuxième partie de l’assertion. Si tu es actif dans ta recherche musicale, vas-tu réellement découvrir cette musique excitante qui n’attend que toi ?
La structure des révolutions musicales
Je parodie ici l’intitulé d’un essai connu de Thomas Kuhn d’épistémologie ! Dans son livre, La Structure des Révolutions Scientifiques, le philosophe étatsunien développe la thèse suivante: la science fonctionne par à-coups à travers des changements de paradigme (l’exception) et la science normale (qui découle de ces changements de paradigmes). Je pense que la musique fonctionne un peu de la même manière si on s’y intéresse d’une manière globale (ou macro). Il y a des révolutions qui sont suivies de changement de langage musical. Ces révolutions peuvent avoir des origines technologiques (la pédale fuzz, l’enregistrement numérique, le développement des synthétiseurs, les DAW etc.) mais aussi de la manière dont les utilisateurs s’approprient les outils à leur disposition. De mon point de vue, envisager la musique (et plus généralement des activités créatives comme le cinéma ou l’art) comme une progression en continu est trop schématique. La vie est plus nuancée. Parfois le passé vient en aide au présent pour alimenter sa grammaire et créer de nouveaux chemins de traverse.
macro et micro
J’en appelle cette fois-ci à un bon vieux concept d’économie: les niveaux macro et micro. Envisage-t-on la musique actuelle dans sa globalité ou à travers des scènes ou genres musicaux. Dans le premier cas, compte tenu de la diversité des expressions musicales, je pense qu’on peut raisonnablement penser qu’il y a toujours beaucoup de choses intéressantes à travers le monde, quelque soit l’instant pris. En revanche les choses se compliquent quand nous allons dans le détail, c’est à dire des scènes ou genres musicaux. Chaque scène est presque une entité organique, elle est dépendante des gens qui y participent. Parfois la dynamique arrive à dépasser l’implication de ses membres fondateurs et avoir sa propre existence mais souvent il y a un tassement. Comme je le mentionnais la semaine dernière à propos de l’écriture (blog etc.) la vie normale et l’envie prennent parfois le dessus sur l’implication. Les scènes naissent, grandissent et disparaissent. De ce fait, la production qui en résulte suit aussi ce processus.
idéaux-types
Au delà des scènes musicales, nous pourrions envisager que les idées, elles, soient transmises à d’autres. Au delà des genres musicaux, une esthétique se définit aussi par des traits particulier, des sortes d’idéaux types. Par exemple, à titre personnel je suis très amateur du son des 12 cordes électriques et acoustiques, souvent qualifié de jangly. Or cette caractéristique traverse en réalité de nombreux genres musicaux. Nous retrouvons ce style de guitare dans la powerpop, le folk-rock, l’indie-pop C86, certains disques de rock psychédélique ou de country. Il en ai de mêmes pour de nombreux autres aspects de la musique: harmonies vocales, richesse des progressions d’accord, instruments pour les arrangements, nature improvisée ou non de la musique, expérimentations etc. Il faut alors prendre en compte un autre phénomène: les goûts du public. Il y a-t-il une audience pour les accueillir ?
à la recherche de la musique actuelle
C’est là où selon moins intervient la seconde partie de la problématique. On peut certes accueillir la musique en ouvrant ses chakras mais souvent nous développons des goûts musicaux spécifiques (ce qui n’a rien d’anormal). Quels sont ensuite les moyens pour chercher et surtout trouver une musique actuelle répondant à ce que nous aimons à travers la musique (les idéaux types) ? À partir du moment où certains traits ne sont pas spécialement populaires, cela nécessite d’être actif ! Cependant les choses sont aussi moins simples qu’il y a dix/quinze ans. Les algorithmes se sont substitués aux disquaires, la presse musicale est moribonde. Tout cela contribue à rendre l’underground encore plus underground ! De fait une recherche active efficace prend aussi largement plus de temps à moins d’accepter de se laisser porter et de n’effleurer que la surface…
Déculpabiliser
Mon propos ici n’est pas tellement de dire que la musique actuelle est moins bonne que celle du passé. Au fond je n’ai pas un avis tranché sur la question. On peut facilement argumenter que c’est faux sur un plan général, en revanche pour moi cela ne fait pas débat si on s’intéresse à des genres plus spécifiques. Il s’agit surtout de déculpabiliser et éloigner l’étiquette infâmante de réactionnaire fainéant pour ne pas y trouver autant son compte. La recherche est difficile, malgré les très nombreux moyens de communication à travers les réseaux sociaux. La musique actuelle est profusion, ce qui revient souvent à vouloir chercher une épingle dans une botte de foin. Après je pense qu’il est sain et courageux de défendre et valoriser la musique actuelle (on le fait un peu ici), plus que jamais même !