La récente banqueroute de Vice interroge à nouveau sur une discussion essentielle de notre époque: l’archivage et internet. Nous avons aujourd’hui des ressources de stockage numérique, qui sans être illimitées, n’en sont pas moins conséquentes, en bien comme en mal. Paradoxalement, l’époque n’a jamais été autant à la merci de décisions économiques de seulement quelques acteurs.
La décentralisation déraille ?
L’internet d’aujourd’hui est aussi différent de celui d’il y a vingt ans que l’usage des smart phones l’est des premiers téléphones portables. Le web reste certes un réseau accessible depuis une connexion internet mais les petits chemins sinueux des débuts pour accéder à l’information sont devenus des autoroutes.
Il y a 20/25 ans, une myriade de petits sites internet existaient. Ils étaient accessibles depuis les recherches de google (plus efficaces qu’aujourd’hui !) mais aussi souvent entre eux via des blog-roll ou des webrings. Bref il était possible d’obtenir l’information sans passer par un réseau social style facebook, instagram, tik tok ou twitter ! L’internet a ensuite connu un classique du capitalisme: la concentration des acteurs sur le marché.
Cette concentration n’aide pas à la diversité. Les sites qui en bénéficient sont ainsi beaucoup plus exposés que les autres. Ces derniers sont donc doublement victimes: de leur taille initiale mais aussi la difficulté progressive à accéder au contenu qu’ils proposent.
la concentration et le problème de l’archivage
On l’a vu, l’internet culturel actuel dépend largement plus des réseaux sociaux et favorisent le contenu des sites qui sont devenus des mastodontes (Pitchfork, Vice etc.). Problème, ces mastodontes semblent encore plus fragiles que les autres ! De gros capitaux y ont été engagés mais n’ont pas forcément aboutis sur la situation souhaitée par les financiers. Entre temps, les revenus internet se sont largement normalisés et ne sont pas l’eldorado initialement imaginé. Bref, le contenu (massif) publié sur ces sites est désormais à la merci de décisions économiques (maintenir un serveur) sans égards sur leur intérêt patrimonial. Bref après avoir largement détruit la possibilité d’avoir des alternatives, ces gros sites sont eux même en danger de disparition et avec eux une partie de la connaissance humaine dans le domaine de la culture (et notamment de la musique).
la force du physique pour l’archivage
Entre 2014 et 2017, j’ai écrit pour Magic puis j’ai rejoint, à sa création, Section-26. J’étais parfois frustré quand j’écrivais pour le papier que mes chroniques ne soient pas réutilisées dans les descriptifs des concerts ou autres. Je mesure en revanche ma chance: ce contenu persiste et va survivre un certain temps grâce à son existence physique. Même si l’ancien propriétaire de Magic a déposé le bilan, les textes que nous avons écrit pour ne vont pas disparaître en même temps que le site internet. À l’heure d’internet, la presse musicale écrite est peut être moins exposée mais n’est pas dépendante d’un serveur ou des désidératas d’une compagnie.
la question de l’archivage pour la musique et les films
Dans les précédents paragraphes j’ai surtout évoqué la presse musicale mais la question se pose bien sûr pour la musique et les films. Comme vous le savez, j’ai de nombreux griefs contre le streaming, ses algorithmes etc. je suis très attaché au disque comme objet, notamment vinyles et cds. Une des qualités évidentes, selon moi, des supports physiques restent aussi cette pérennité de l’archivage. Alors oui un CD peut s’altérer dans le temps, un vinyle s’user ou se déformer. Il n’empêche, des copies vont traverser le temps.
Si aujourd’hui les sites de streaming musicaux cherchent encore à être complets, il n’est pas dit que l’avenir soit aussi radieux. Nous sommes à la merci de décision entre les mains d’autres personnes: les CEO de groupes dont les intérêts diffèrent des nôtres. La musique peut disparaître très facilement de spotify et consort. Aujourd’hui tout semble facilement accessible car la technologie est finalement assez récente encore. Dans quelques années, quand les labels ayant droits de certains disques vont s’arrêter la musique qu’ils proposaient sera-t-elle encore disponible ? Si demain un artiste prend position contre spotify, qui nous dit que ces derniers ne feront pas de la rétention en face? Il y a d’ailleurs plusieurs youtubeurs à s’émouvoir de disparaître du site après avoir publié des vidéos critiques.
Autre interrogation à ne pas négliger: sommes nous réellement sûrs que ces sites vont exister à terme ? Qui pensait que Vice, bandcamp ou Pitchfork auraient des problèmes ? Pourquoi Spotify ou Netflix ne pourraient pas eux aussi en avoir ? D’ailleurs le modèle de Spotify est-il aujourd’hui bénéficiaire ? Il semblerait que la structure arrive seulement ponctuellement à être bénéficiaire sur des trimestres. Bref le modèle économique est encore en rodage et n’a pas nécessairement trouver son rythme de croisière. Il n’est pas dit que les victimes ne seront pas les revenus des artistes, comme pour la règle des mille écoutes !
L’ère de l’abonnement
C’est une tendance lourde dans nos sociétés occidentales. De nombreuses compagnies préfèrent des abonnements et un accès plutôt qu’une vente unique et une propriété. Cette évolution est nocive. Cela touche ainsi la musique ou le cinéma mais aussi des outils de domaine professionnel comme photoshop ou le cloud d’instruments virtuels de Roland.
La logique économique est assez évidente. La dépense est souvent moins douloureuse sur le moment, mais elle s’avère aussi bien plus salée à terme ! Problème nous ne sommes plus propriétaires de ce pourquoi nous dépensons de l’argent mais de simples locataires. Les compagnies peuvent ainsi retirer quand ils veulent le contenu et mettre dans la panade les usagers ! Sans compter qu’une propriété donne généralement accès à la possibilité de revendre et donc aussi de récupérer une partie de la somme engagée.
Heureusement les usagers ne sont pas dupes et se mobilisent avec quelques succès à sa clef. Après s’être mangé un énorme shitstorm Waves a ainsi rétablit les licences perpétuelles sur ses VST. Bref je pense qu’il n’est pas complètement stupide d’envoyer chier le plus possible les compagnies qui ont ce type de démarche.
le dépouillement, ce mantra moderne
L’abonnement bénéficie de la sympathie des utilisateurs pour son coté pratique et l’absence de place qu’il prend ! Pourtant, n’être que locataire c’est risquer de perdre l’accès à une œuvre adorée en fonction de discussions qui nous dépassent.
Les objets prennent la place mais ont aussi une signification. Ils peuvent marquer des moments de notre vie et constituer aussi une forme d’archivage personnelle. Quels souvenirs auront nous avec le flux constant ? Parfois je prends du plaisir à relire des vieux titres de presse achetés il y a 20 ans. En les relisant, je retrouve une partie de mon état d’esprit de l’époque. Cela a presque autant de valeur que le contenu lui même.
J’entends que le minimalisme soit en partie une nécessité dans notre environnement actuel et la crise des logements. Il faut évidemment en tenir compte mais peut-être savoir se garder quelques poches de résistances pour se faire plaisir et maintenir ce lien un peu particulier à l’existence.
c’est ou ce disquaire?
lequel ?
la photo n’est pas chez un disquaire en tout cas !
c’est chez vous? si oui invitez moi a prendre un verres