CINEMA: “Whiplash” (2014) de Damien Chazelle

En me baladant ce matin sur Twitter, je suis tombé sur un thread à propos de films sur la musique à voir. Whiplash (2014) de Damien Chazelle y figure évidemment en bonne place. Le film m’a pourtant quelque peu interloqué quand je l’ai vu avec mon amoureuse il y a quelques mois. Faisant presque l’unanimité sur un site comme SensCritique, le débat avait été bien plus nuancé et partagé sur le réseau social bleu. Je profite de l’occasion pour rassembler mes pensées et mettre noir sur blanc ce qui m’a gêné sur ce film où tout n’est pas négatif non plus.

Un film sur le sport plutôt que sur la musique

Dans Whisplash, la musique ne semble jamais être joyeuse. L’esprit de communion est totalement absent des répétitions où des concerts. Chaque session de pratique musicale ressemble à un entrainement de sport. Le réalisateur s’acharne à montrer le sang et la sueur pour signifier l’implication du protagoniste principal, le jeune Andrew Neiman (joué par Miles Teller). Je trouve plutôt le rendu artificiel: la pratique musicale demande de la précision et que peu de force brute. La musique et les plans de concerts sont également sans plus. Ils semblent assez accessoires au fond et plutôt traité avec un certain détachement. Ils ne dégagent ni ferveur ni magie.

Une relation toxique au coeur de l’histoire

Au fond Whiplash n’est pas vraiment un film sur la pratique musicale dans une école de jazz new-yorkaise. Il s’agit plutôt d’une relation toxique entre le jeune batteur Andrew Neiman et son mentor, le professeur Terence Fletcher (joué par JK Simmons). Cette relation a presque des cotés sectaires pour moi: le mentor désoriente et manipule son apprenti pour le rendre malléable. Andrew Neiman en subit d’ailleurs les conséquences. Il se sépare de sa meuf qui n’adhère pas au délire, il s’éloigne de sa famille en les engueulant… Cette relation toxique est bien dépeinte et est un des points positifs de ce film. Je suis plus embêté par le fait de n’avoir aucune empathie pour les deux protagonistes. L’un et l’autre font la course pour savoir qui est le plus con des deux. Je sais qu’avoir de l’empathie pour un des personnages n’est pas une obligation mais vouloir en sauver un des deux, me permettrait peut être d’avoir un peu plus envie de rentrer dans le film.

Un discours ambigu sur la réussite artistique

Il y a plusieurs manières de lire Whiplash et j’aimerai croire que Damien Chazelle fait une critique de l’obsession performative qu’il montre pendant une heure quarante. Je n’en suis pourtant pas convaincu: à aucun moment dans le film, le réalisateur ne prend du recul pour signifier l’absurdité de ce qu’il nous montre. Le réalisateur semble se positionner comme un spectateur neutre et se contente de dérouler l’histoire. Il laisse la parole uniquement aux deux protagonistes principaux, l’élève et son mentor. Il dépeint l’escalade entre les deux mais jamais ne cherche à créer une issue de secours ou un point d’inflexion que ce soit dans le scénario (un des deux personnages qui sort de cette logique) ou la réalisation (des plans pour casser la logique).

Une vision fausse du génie ?

Damien Chazelle fait donc le choix de pas exprimer clairement son ressenti sur ce qu’il montre. À l’écran, les personnages font l’apologie d’une vision performative de la musique. Le travail acharné, jusqu’à la souffrance dans le corps est alors présenté comme le seul objectif souhaitable possible. Il est évident que le génie nécessite du travail pour être valorisé et apprivoisé mais il y a aussi une part d’inné dedans. C’est injuste mais réel: le travail ne fait pas tout. Réduire le talent et la quête de la perfection à une performance physique pure a quelque chose d’absurde et pire encore, malsain. Damien Chazelle laisse ainsi entendre qu’au fond, seul compte ce que vous êtes prêt à lâcher pour arriver à votre objectif. Je n’adhère évidemment pas au discours et il me met mal à l’aise. Faut-il laisser à Damien Chazelle le bénéfice du doute ? À chacun ses convictions, je n’ai pas d’avis définitif dessus pour ma part.

Excès de vitesse

Un des trucs qui me chagrine le plus dans ce film est la manière dont on dépeint la pratique instrumentale. Dans Whiplash tout tourne autour de la vitesse et de la capacité du jeune batteur à tenir à un rythme frénétique. Certaines séquences sont ainsi de véritables séances de tirs de mitraillettes. C’est, me semble-t-il, assez éloigné des véritables qualités nécessaires pour être un bon batteur (de jazz ou autre). Chacun aura évidemment sa vision d’un bon musicien. Pour ma part je pense que la justesse, la qualité de la frappe (le son, la longueur) ou la capacité à placer des notes avec goûts sont probablement des critères plus importants que la vitesse elle même. Pour vous situer, je pense que des batteurs comme Stewart Copeland, Jeff Porcaro ou Bernard Purdie sont de très grands instrumentistes dans leur domaine. Non pas à cause de leur vitesse mais dans leur capacité à créer des choses complexes qui sonnent merveilleusement bien grâce à une précision très exacerbée. Il suffit d’écouter Home at Last de Steely Dan pour se rendre compte qu’un batteur peut être incroyablement bon sans pousser le tempo au maximum… Damien Chazelle fait l’impasse sur tout ça: il réduit le batteur de jazz à une machine à balancer des rafales de caisse claire. Il oublie au fond toute notion de musicalité. Même si j’écoute beaucoup de garage ou de punk, je peux être très sensible à la qualité instrumentale mais je la trouve ici dépeinte avec beaucoup de grotesque et pitrerie.

Conclusions

Whiplash me laisse interrogatif. Ce n’est clairement pas un film sur la musique. Ici le jazz est une toile de fond et l’action ailleurs. La relation toxique entre les protagonistes y est très bien dépeinte mais semble exercer une forme de fascination sur le réalisateur qui n’offre aucune autre possibilité à ses protagonistes. Au final le film me séduit ainsi très moyennement. D’une part il rate à complètement cerner l’ambiance et l’esprit des écoles de jazz mais de l’autre il peine à offrir une histoire émouvante. Le réalisateur semble ainsi se satisfaire de faire souffrir les protagonistes pour une supposée vision de l’art complètement conne et faussée. C’est pas un mauvais film pour autant, la réalisation est plutôt soignée et les acteurs sont remarquables, pour autant il me manque ici d’avoir envie de m’en saisir.

Ma note personnelle: 2,5/5

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