Lors de mon récent passage à Nancy, j’ai aussi fait quelques emplettes de livres, la plupart sur Nancy mais l’Encyclopédie du Rock en France (2024) de Christophe Goffette et sa belle couverture jaune. Après l’avoir feuilleté, je suis reparti avec. Depuis j’ai pris le temps d’un peu creuser l’ouvrage et je vous en propose une petite analyse.
Le mythe de Sisyphe et l’Encyclopédie
Une encyclopédie est un objet sacrément ambitieux. Compiler et écrire sur l’ensemble du rock français s’apparente à un sacerdoce. Je suis ravi que quelqu’un s’y risque, tant c’est un sujet qui m’intéresse. Christophe Goffette s’est lancé dans un défi intense ! Le livre fait ainsi plus de 800 pages avec deux indexes (un classique et un par ville) fort pratiques. On va revenir dans le détail des absents mais il faut reconnaître que l’auteur a fait un sacré boulot pour répertorier tout ce que compte l’Hexagone de rockeurs ! J’y ai même été amusé de retrouver quelques noms connus (Les Guillotines, Entracte Twist, Cheap Riot). Je dois reconnaître que ça m’a aussi poussé à acheter l’ouvrage !
C’est quoi le rock en France ?
La circonscription du rock en France est un premier écueil évident pour une encyclopédie. Comment définir le rock ? Le sujet est tellement complexe (selon moi) qu’il fera l’objet d’un article ici prochainement (mi décembre). Sans en dévoiler le contenu, on peut par exemple s’interroger sur la présence ou non du shoegaze dans cette Encyclopédie du Rock en France. Si Welcome To Julian est présent, il manque de nombreux protagonistes plus contemporains dans ce registre, par exemple Dead Horse One ou Maria False. C’est aussi le cas de la scène metal: un groupe comme Sortilège est absent. Cela peut se discuter non ?
Trop de subjectivité ?
Mon principal reproche à ce travail par ailleurs conséquent reste l’excès de subjectivité. Cette subjectivité se situe à au moins trois niveaux: le jugement des groupes, les informations données et la taille des entrées.
Il est normal que le taille des entrées se fasse en fonction de l’importance des groupes. Personne ne sera particulièrement outré de voir que Noir Désir ou Téléphone prennent plus de place que Les Lullies, Alvilda ou les Bowlers. Reste qu’on peut s’interroger quand l’entrée dédiée à Born Bad (disquaire et label d’un coup – déjà embêtant en soi) ou Indochine (dix lignes!) soient plus courtes que celle des éphémères Krash. On peut ainsi apprécier le single de ces derniers mais s’interroger s’il aurait pas fallu insister d’avantage sur le label de Romainville et le disquaire de Bastille ? Sans parler d’Indochine.
Il est normal pour Christophe Goffette de vouloir donner un peu de vie à ses textes et donc de choisir les informations données sur chaque groupe. Cependant, il n’évite pas les détails anecdotiques qui n’apportent pas d’éclairage. Par exemple pour le groupe indie Brooklyn, l’auteur démarre son texte en mentionnant les “groupes parisiens du début des années 2000, qui se contentaient souvent de soigner leur coup de cheveux et/ou nettoyer leurs lunettes de soleil”. Ce détail est assez typique de ce que je peux reprocher à l’ouvrage: cela n’apporte pas d’indication cruciale sur la formation en question et la comparaison ne les sert pas. Pour le dire autrement: c’est pas parce que tu critiques les Naast dans un texte dédié à Brooklyn que ça va donner plus envie d’écouter Brooklyn. Je pense que ça a généralement l’effet contraire en réalité.
Nous en venons au point chaud: le jugement sur les groupes. Comme je le disais dans le paragraphe précédent: la subjectivité n’est pas forcément négative. Certes, une encyclopédie a des vocations d’être un outil, parfois définitif, sur un sujet donné. Cependant je comprends l’envie et aussi la qualité que peut apporter un certaine subjectivité dans cette belle mission. Donner envie d’écouter des groupes reste au fond la première vocation d’un ouvrage de la sorte. Aucun problème là dessus. Il y a cependant anguille sous roche: Christophe Goffette va au delà de l’enthousiasme pour ses groupes préférés. Il juge durement et lourdement certains groupes qui ne collent pas à sa vision du rock. Les articles sur les Naast, Shades, Ultra Orange, Niagara, Neïmo ou Patrick Coutin en sont d’excellents exemples. Je ne vais pas ici en recopier le contenu (venimeux) mais je les trouve injustes et souvent à coté de la plaque. Chacun est libre d’apprécier ce qu’il veut, mais peut-être qu’un peu de neutralité n’aurait pas fait de mal plutôt qu’absolument vouloir déverser sa bille ?
Le rock en France est multiple
Vous le savez, j’ai une appétence pour le rock francophone hexagonale et d’ailleurs (Québec). Je ne m’interdis cependant pas de l’apprécier également dans la langue anglaise. On peut en tout cas lire entre les lignes quelques uns des centres d’intérêt de l’auteur. Christophe Goffette aime le rock anglophone racé façon Dogs ou la chanson rock à texte exaltée (Saez). Il semble en revanche au rock français d’être ce qui en ferait pourtant sa force: un musique aussi pour les adolescents ou jeunes adultes. Certaines des critiques semblaient ainsi viser spécifiquement ce public. Toute trace d’intérêt pour les groupes qui le représente apparaît ainsi suspect à l’auteur. Christophe Goffette cherche à rejouer le match et au redresseur de tord: dommage pour la paix des ménages. Il en faut pour tous les goûts: les vieux briscards et les jeunes lascars.
Conclusion sur l’Encyclopédie du rock en France
Christophe Goffette propose ici une somme et a fait un taff considérable. En principe tout ouvrage sur le rock en France est bienvenu, mais j’aurais vraiment apprécié pour ma part que l’auteur fasse preuve d’un peu plus de neutralité quand la musique ne lui plaît pas. Quel est le sujet ici: Les goûts de l’auteur ou le rock en France ? Pour moi c’est un gros écueil de cet ouvrage.
note personnelle: 2,5/5