Je parle de temps en temps de la lente dégradation des résultats de recherche de google, je l’évoquais par exemple dans cet article du 19 août dernier. Les déboires de Pitchfork et Bandcamp ont conduit de nombreux usagers de twitter à la création de blogs et au renouveau de ce type de sites, souvent individuels ou mené par une toute petite équipe. Tout cela m’amène à cette réflexion autour de l’internet d’il y a 15/20 ans. Surtout: je ne pense pas qu’il soit possible de réunir les conditions pour un retour à cet esprit. Je tente de développer ça !
PS: je m’intéresse surtout à l’écrit ici.
L’ancien internet
Posons nous d’abord la question: c’est quoi l’internet d’avant ? Parle-t-on des pages personnelles réalisées avec les moyens du bord sur free/geocities/multimania ou des blogs hébergés sur blogger et wordpress? Le premier représente finalement l’internet d’il y a 25 ans (fin des années 90 et début de la décennie suivante) tandis que l’autre a plutôt 15/20 ans (à partir du milieu des années 2000 et beaucoup dans les années 2010). Dans tous les cas, l’information était plus dispersée mais ne me semblait pas forcément plus difficile à trouver grâce à google et d’autres outils comme les webring ou les blogroll. Cette décentralisation et atomisation du contenu était positive. Il permettait une diversité d’opinions. Je pense aussi que cette approche avait un impact positif sur la qualité du contenu. Les gens susceptibles d’avoir des connaissances poussées sur un domaine avaient alors envie de les partager avec d’autres, aussi pour trouver d’autres énergumènes comme eux !
Google de moins en moins pertinent
Google était en partie la porte d’entrée de cet internet. Aujourd’hui, la Gen Z utilise de moins en moins google pour effectuer ses recherches et de plus en plus des réseaux sociaux comme Tik Tok. Pendant longtemps, le moteur de recherche californien était ce formidable outil d’ accès aux méandres d’internet. Désormais, Google (et je vais donner raison à la Gen Z!) ressemble à une suite de liens publicitaires. Quand ce n’est pas de la publicité, ce n’est pas mieux: des sites biens référencés mais nuls (écrits par des AI ou du texte générique) ou des grosses machines accessibles partout. Bref il est devenu impossible ou presque de dénicher les pépites à travers google. Notamment ces fameux blogs ou pages personnelles que je mentionnais au précédent paragraphe. Si google est une entreprise capitaliste, sa situation de monopole sur la requête rend la situation particulièrement déprimante. Aujourd’hui il est impossible d’émerger à travers google grâce à du contenu écrit de qualité. Vous pouvez écrire les choses les plus pertinentes et intéressantes sur un sujet donné si vous n’avez pas les moyens d’acheter de la pub ou de travailler très très bien votre référencement naturel, ce sera comme vider la mer avec une cuiller.
Le goulet d’étranglement des réseaux sociaux
Si google ne peut servir de porte vers cet internet intéressant et si riche, ce sont aujourd’hui les réseaux sociaux qui remplissent ce rôle. Facebook, Twitter, TikTok ou même YouTube sont aujourd’hui une source importante pour s’informer et aussi (dans le cas qui nous intéresse) de trafic pour les sites internet. Pour prendre mon cas personnel, twitter est de loin l’endroit d’où vous venez le plus pour lire ce site ! Cette dépendance est un problème: nous sommes à la merci des changements de règles des réseaux sociaux. Contrairement au mirage d’internet, ces derniers sont des structures centralisées et donc susceptible de tout couper sans prévenir. Les exemples d’articles autour des modifications des règles de facebook ne manquent pas. Par exemple sur l’ADN on peut lire Facebook a-t-il tué la presse pour de bon ?. Il s’agit d’une problématique importante tant les médias écrits numériques en sont dépendants.
Des solutions existent certes
L’exemple de La Presse et sa stratégie pour éviter la dépendance à facebook (excellent article INA) est intéressant. Le site québécois a eu une stratégie pro-active pour devenir le site par lequel les gens passent plutôt que celui de destination. Ce travail est pertinent et il faut le faire mais nécessite aussi des investissements humains importants. Ces investissements humains ne sont pas pas à la portée d’un internet où chaque site est géré par une ou un petit groupe de personne. L’une des solutions trouvées par La Presse est d’avoir mis en place de nombreuses newsletters thématiques pour inciter les lecteurs à trouver l’information à travers celle-ci plutôt qu’à travers facebook et consort.
Une autre solution classique consiste à pratiquer l’échange de lien, comme nous le faisions, entre autre, à travers les webring et blogroll (ci-dessus celui de requiempouruntwister). Je dois cependant remarquer que l’étiquette se perd. J’ai par exemple du râler quand un gros site de musique électronique avait pompé un de mes articles sur la TB-303 sans le citer. Le papier avait repris des exemples que j’avais pris le soin de choisir par moi même de mon coté (Orange Juice, Heaven 17 par exemple). Je n’ai pas de problème à la réutilisation de ces exemples mais un lien aurait été la moindre des courtoisies, surtout quand on galère à se faire référencer correctement. Une politique active d’échange de liens aurait un effet très bénéfique sur la constitution d’un internet plus décentralisé mais encore faut-il que tout le monde ait envie de jouer le jeu et de participer à un esprit de communauté. Pour ma part, j’ai essayé aussi de prendre conscience de ma propre pratique et j’ai donc tenté de varier les sources des liens sur mes articles, notamment ceux pour Section 26. Evidemment si j’ai déjà écrit un truc pertinent sur un sujet, je vous y renvoie !
Le temps c’est de l’argent
L’internet des anciens temps était largement bénévole. Le bénévolat n’est pas un problème en soi mais la charge de travail n’est plus non plus la même. La difficulté d’accès au public du contenu nécessite que la/les personne(s) fassent en plus un travail de communication s’ajoutant (ou s’enlevant) à celui de la création de contenus intéressants.
Le bénévolat ne peut cependant conduire à une situation pérenne à long terme. La vie nécessite parfois de mettre de coté les hobbies (les enfants, un travail plus prenant etc.). La seule solution pour avoir des sites de petites tailles maintenus régulièrement se trouve donc du coté de la professionnalisation. Le serpent se mord la queue: la professionnalisation a conduit la suroptimisation du référencement et à l’exclusion des petits sites d’une part de l’audience !
L’utopie de retrouver cet ancien internet
Pour moi il est donc utopique d’imaginer qu’internet puisse redevenir un petit peu ce far-west qu’il était encore il y a même quinze ans. Je pense que les enjeux financiers bloquent largement la possibilité d’avoir de l’impact. Il faudrait une prise de conscience de l’ensemble des maillons de la chaîne (les lecteurs, les sites et les labels ou les musiciens pour la musique). Je ne pense pas que nous ayons encore cette capacité à faire front pour un sujet comme celui-ci. Par ailleurs, malgré ses évidentes qualités, l’écrit n’a pas forcément le vent en poupe en ce moment, mais je ne pense pas que ce soit là nécessairement une fatalité en revanche (j’y reviendrai).