OPINION: Des pelles et des pioches

On dit souvent que pendant la ruée vers l’or, les vendeurs de pioches et de pelles se sont d’avantage enrichis que les prospecteurs et autres pionniers. À travers ma chérie (et mon expérience personnelle), en m’intéressant au milieu de la création (artistique ou artisanal), je me suis rendu que l’analogie était criante. Développons tout cela ensemble.

Le sujet est ample, il y a bien plus à dire que ces quelques lignes, je suis, comme d’habitude, très curieux de vos opinions, remarques sur le sujet !

Pourquoi les pelles et pioches ?

Pendant les différentes ruées vers l’or, notamment en Californie (1848-1855) ou au Klondike (1896-1899), nombreux furent ceux à tenter leur chance mais peu touchèrent le jackpot. En revanche, celles et ceux qui accompagnèrent les orpailleurs avec des services, des biens comme des pelles et pioches, en profitèrent bien plus. Ces outils offrent la parfaite métaphore pour un sujet universel et largement partagé dans les milieux artistiques et artisanaux: l’entourage qui offre des services gagne mieux sa vie que les artistes eux même.

L’exemple du Festival Off

Dans le Télérama numéro 3939 du neuf juillet 2025, il y avait un sujet très intéressant (écrit par Kilian Orain et Olivier Milot) autour du Off d’Avignon. Beaucoup de compagnies de théâtre y vont, en sachant qu’elles vont y perdre de l’argent, des sommes pouvant atteindre 20 000€. Pourtant nombre d’entre elles, y vont malgré tout car le festival offre une visibilité énorme. Il permet d’approcher des programmateurs. Beaucoup considèrent ainsi cela comme un investissement, mais d’autres suggèrent que l’effort ne se justifie pas. Il y a là quelques enjeux bien connus des artistes et de l’artisanat, selon moi cela recoupe aussi l’analogie des pelles et des pioches pendant la ruée vers l’or.

Les pelles et pioches dans le milieu artistique

En suivant les tribulations de ma chérie (Joséphine Pelletier) pour se faire exposer ou être disponible en boutique, je me suis rendu compte que certaines habitudes relevaient plus de l’exploitation que du partenariat fair-play. Plutôt qu’appliquer un système de dépôt vente avec une commission (classique, efficace, correct), il n’est pas rare de voir des boutiques uniquement proposer de payer pour la visibilité, que ce soit financièrement ou en travaillant (gratuitement) sur place. On peut imaginer ce genre de solution dans certains environnements précaires mais elles sont assez généralisées. Certaines boutiques ont ainsi un modèle économique où les créateurs contribuent d’avantage que les clients à l’économie du lieu. C’est assez inquiétant d’une manière générale. Je n’ai rien contre les locations de pop up etc. mais il y a souvent quelque chose de plus insidieux qui se joue là. Des boutiques démarchent des créateurs non plus pour exposer des œuvres/pièces qu’elles ont envie de défendre/vendre mais comme une source de revenu. Le moyen devient alors le but.

Dans la musique, cela évoque évidemment le festival Emerganza, dont l’activité semble déclinante en France (en tout cas qui en parle encore?). Il y a une dizaine d’années, ce tremplin très connu des groupes de rock avait fait parler de lui dans plusieurs articles (nouvel obs, le transistor etc.). Ils étaient connus pour approcher les groupes et leur vendre du rêve (on peut leur accorder que les groupes jouent dans de bonnes conditions). Si l’on peut discuter du succès financier pour la société, il y avait quelque chose de malsain à voir les groupes gagner ou perdre en fonction du public qu’ils arrivaient à recruter à travers des places payantes.

Dans un autre registre, Spotify joue une partition trouble. Si le modèle repose sur les abonnements, l’accès au site suédois est aussi payant pour les petits artistes. Ces derniers sont défavorisés à de nombreux niveaux, en plus de payer pour y être, ils ne sont pas certains d’être rémunérés sur les écoutes qu’ils génèrent (la règle des 1000 écoutes) et enfin ne seront jamais (ou très rarement) mis en avant par la plateforme. Allons plus loin: il y a plus de chance d’être en facing de la FNAC que dans une playlist populaire interne sur Spotify.

Certains sites musicaux font aussi payer pour du publirédactionnel. Tu veux une avant première ? Il faut sortir ta carte bleue et passer à la caisse ! Cela existe aussi bien entendu sur instagram ou twitter.

FOMO des créateurs

Beaucoup d’entreprises accompagnant les créateurs jouent sur le registre de la peur et du FOMO (fear of missing out) de nombreux créateurs et musiciens. En effet, il apparait, dans un contexte très concurrentiel (beaucoup d’appelés et peu d’élus), que les créateurs cherchent à avoir de l’exposition. Les canaux numériques sont saturés: instagram est devenu une jungle comme une autre. Dans le monde physique, les créateurs sont confrontés à des vendeurs de pelles et pioches qui jouent sur cette corde sensible. L’univers de la création est régi par un mantra: il faut investir sur soi même, tout faire pour que faire décoller sa carrière. Avec des créateurs généralement inexpérimentés, nombreux sont les pièges et les gens pour en profiter.

Evidemment la situation est à nuancer. Il y a des interventions utiles et bénéfiques. Certaines personnes sont sincères et offrent une vraie plus value. Des actions sont de vrais investissements, tandis que d’autres seront à perte. Il y a quand même quelque chose d’étrange à voir se multiplier les démarcheurs pour proposer des services quand les consommateurs se font, eux, plus rares.

Le vrai problème

On approche du cœur du problème. Il y a un manque criant d’argent injecté dans les domaines artistiques et artisanaux. Il faut des clients prêts à payer ce que vaut un travail artisanal, un disque, un concert, une œuvre. La concurrence accentue évidemment le problème: plus il y a d’intervenants, plus ces derniers vont brader pour se faire une place. On ne peut ni forcer les clients à acheter, ni inciter des intervenants à monter leur prix.

L’inflation récente, le développement de certains besoins inexistants par le passé (abonnements aux plateformes de streaming etc.) ont déplacé les sommes disponibles pour les achats artistiques. Je pense que la situation est plus inquiétante en France qu’ailleurs. De surcroît, les consommateurs hexagonaux ne font guère preuve de chauvinisme et ne défendent que rarement les acteurs locaux dans les domaines artistiques. Il y a sûrement un besoin de pédagogie. C’est d’ailleurs ce qu’avaient cherché à faire des artistes sur instagram encore récemment. Je l’évoquais ici même (nouvelle du front) il y a quelques semaines.

Que faire ?

Comment gagner sa vie à travers une activité artistique ou artisanale ? Tout le monde se pose la question ! Beaucoup s’oriente vers les ateliers ou les cours. Cependant, dans certains domaines, ces secteurs là sont tout autant bouchés. Comme pour la visibilité sur instagram, les algorithmes font parfois des siennes sur les sites comme wecandoo. Beaucoup connaissent ainsi des difficultés à remplir leurs agendas.

Au fond, la solution la plus efficace reste d’essayer de vivre de sa production. Comment y parvenir ? Pas de méthodes miracles; le chemin sera semé d’embuches. Il y a probablement, selon moi en tout cas, quelques niches à explorer. Penser aux besoins du client développer sa singularité et l’explorer au mieux. Viser un marché international, y compris avec une production très française !

Je pense aussi qu’il est important de se méfier des vendeurs de pelles et pioches. Globalement, il n’y a pas beaucoup de cheat code pour la plupart des créateurs. La viralité peut arriver, mais pour beaucoup ce sera un long travail de patience pour se construire une crédibilité et outrepasser les nombreuses barrières psychologiques en amont d’un achat.

Quelques astuces

Pour la musique (sujet que je connais mieux), voici quelques pratiques qui suggèrent, selon moi, une démarche discutable.

Le démarchage doit d’abord interroger. Certes, il y a des gens légitimes qui vont vous démarcher, par exemple un orga pour un concert, un label etc. On s’interroge, on ne s’emballe pas, on demande plus d’information. Si quelqu’un qui vous démarche et ensuite vous promet des résultats spectaculaires pour votre carrière (mise en avant etc. toucher des nouvelles personnes), cela devient sérieusement inquiétant. Voici alors notre deuxième point: se méfier des gens qui promettent monts et merveilles en matière de résultats. Ils ont souvent un truc à vous vendre.

On se méfie alors, par exemple:

  • des tremplins qui nécessitent une participation financière active telle que la vente de places de concert (qui ressemble à du MLM)
  • les sites qui font payer un accès aux décideurs sans avoir une certitude de les toucher/avoir un feedback
  • la presse qui fait payer les articles (publirédactionnel, avant première payante etc.)
  • des influenceurs qui affichent un gros following mais ont peu de réactions.

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