Si vous suivez l’actualité, vous avez certainement entendu parlé des nombreux usagers de réseaux sociaux qui ont demandé à ChatGPT de transformer des photos, memes, en visuels des célèbres studios Ghibli. Cela a donné lieu à de nombreuses attaques et certaines d’entres elles me semblent peu pertinentes. Je fais un peu le point ici.
Une mise à jour de ChatGPT
On commence à connaître le bougre: ChatGPT constitue un changement de paradigme depuis son arrivée. Démocratisant l’IA, le programme d’OpenAI s’est imiscé partout dans notre quotidien. Les étudiants en raffolent dans leurs exposés, les journalistes aussi. Sommes nous en train de lire un humain sur son clavier ou les itérations d’un code informatique ? Je vous rassure c’est encore bibi aux commandes ici ! Pour résumer les informations: OpenIA a lancé une nouvelle interface intitulée Sora début mars, et une nouvelle version du fameux ChatGPT dite GPT-40 qui a énormément amélioré le moteur du coté des images (lien vers OpenAI), le 28 mars.
La folie IA Ghibli
Les utilisateurs des réseaux sociaux, notamment sur twitter, se sont emparés de cette nouvelle version et très vite des memes autour des visuels inspirés des studios Ghibli ont poussés comme des champignons. En 2023, Hayao Miyazaki (le patron des studios Ghibli) annonçait qu’il détestait l’IA dans une interview (à retrouver sur ce lien). Evidemment, une partie de la presse s’est emparée du sujet et a déroulé un discours à charge, en ressortant opportunément cette citation effectuée il y a deux ans. Les créateurs s’y sont mis aussi !
Droits d’auteurs
Je pense que l’article de France Info est assez caractéristique d’une position courante. Il y a, à mon avis deux questions sur les droits d’auteurs différentes:
- Une IA a-t-elle le droit de copier le style de quelqu’un ?
- Une IA peut-elle être entraînée sur du contenu avec un copyright ?
Pour moi une IA a tout à fait le droit de copier le style de quelqu’un comme il le fait avec les studios Ghibli. Je pense que c’est dans la nature même de la pratique artistique que de copier et s’inspirer des autres. Il est évident que quand un humain le fait, le résultat est plus original et éloigné du modèle qu’une machine, mais vouloir interdire la copie à une IA ne risque-t-il pas aussi d’avoir un impact sur les créateurs humains eux même ?
Il y a dix ans, Robin Thicke était condamné pour la ressemblance entre Blurred Line et Got to Give It up de Marvin Gaye (un lien qui en parle). Ce jugement reste une énorme connerie. Le morceau était jugé non pas sur une mélodie similaire (ou même un enchaînement d’accords) mais sur sa ressemblance stylistique. C’est une porte ouverte sur de nombreux abus. Le style (la forme) ne peut pas être protégé, ce qui l’est ce sont les mélodies (le fond). Pour moi c’est un trait clair et compréhensible pour situer la limite entre l’inspiration et le plagiat. Nous avons nécessairement besoin d’une certaine souplesse pour permettre la création. Dans le cas contraire nous nous retrouvons dans la même situation que les sociétés qui achètent des brevets pour faire des procès ! A-t-on envie d’un monde où la création est méchamment bridée aux profits d’ayants droits très riches ?
Sur la deuxième question, je suis en revanche nettement plus interrogatif. Je pense qu’il y a quelque chose d’amoral à entraîner une IA sur du contenu protégé, pourtant c’est ce que nous faisons tous ? Notre système de pensée, nos influences quand nous créons, sont eux mêmes des processus où nous réutilisons un savoir protégé accumulé dans nos cerveaux ? Le coté automatique et binaire des IA rend cependant le processus assez impressionnant. Il y aurait sûrement une forme d’équilibre à trouver, peut être en obligeant les programmes d’IA à mentionner les sources.
L’IA vole les artistes
Un autre argument que j’ai pu voir mentionner sur les réseaux sociaux et qui m’interroge: l’IA vole le travail des artistes. Ne s’agit-il pas aussi d’une forme de gatekeeping ? Je suis partagé sur le sujet. D’un coté je comprends la colère de celles et ceux qui possèdent un talent et la situation complexe dans laquelle cela les projette.
De l’autre, est-ce que l’outil IA est vraiment différent des boîtes à rythmes et autres synthétiseurs qu’ont essayé d’interdire les syndicats de musiciens à la fin des années 70 et au début des années 80 ? Est-ce que vouloir interdire l’IA car il saborde son travail, n’est-il pas similaire aux copistes qui se plaindraient des imprimeries ?
Par ailleurs que pensent les artistes affectés par l’IA des logiciels de peer 2 peer ou des sites de streaming illégaux ? Ne sont-ils pas une forme bien plus manifeste de vol d’œuvres avec des copyrights qu’une interprétation faite par une IA ?
Un outil fascinant
Pour moi l’IA reste un outil assez fascinant, qui peut être très positif si bien utilisé. Ces programmes ont la capacité de nous simplifier le boulot sur de nombreux aspects. Je trouve ça regrettable que leurs visibilités passent par leur pire aspect (la pseudo-création artistique). Ainsi, nous pourrons nous concentrer sur des questions plus complexes et nécessitant une réflexion. J’ai pu constater en faisant appel à Grok (l’IA de Twitter/X) que je peux avoir des applications concrètes pour ce type de logiciels et que cela peut m’aider à être meilleur dans mon écriture.
Je ne me sers pas du contenu génératif. Les IA sont, pour moi, avant tout, des moteurs de recherches évolués. Je m’explique: leur gros intérêt est de pouvoir croiser des séries de données. Par exemple l’autre jour, je cherchais les membres communs et différents entre deux formations musicales qui se sont succédées dans le temps (Arrival et Kokomo pour les citer). J’aurais pu le faire à la main en cherchant les infos sur wikipedia et discogs mais ça m’aurait pris du temps pour une donnée pas si sensible que ça. Là j’ai posé la question, eu ma réponse et vérifié que Grok ne me racontait pas des salades. Cette vérification m’a pris moins de temps que de faire le travail effectif de comparaison.
Mais qui a ses limites
Je vois vraiment trois gros écueils à l’IA et qui à mon avis doivent plus interroger que le fait de générer des images (plutôt) anodines dans le style Ghibli.
- les IA mentent et ce n’est pas simple à détecter,
- les deep fakes,
- les rendus génératifs restent une régurgitation et non une création.
Je l’ai déjà écrit mais les IA inventent parfois des trucs qui n’existent pas et c’est vraiment très gênant intellectuellement. Par exemple l’autre jour j’ai interrogé Grok pour me faire des suggestions sur une playlist sur laquelle je travaillais. Je choisis scrupuleusement tous les morceaux que je vous propose mais dans mon travail préparatoire, je me sers de différentes sources (compilations, listes faites par d’autres, moteur de recherche et surtout mes connaissances personnelles bien sûr). Une IA m’a déjà mentionné des références qui n’existaient pas ! J’ai essayé de les sourcer sur discogs sans succès. J’ai tenté d’interroger le programme à ce sujet et il a fini par botter en touche ! Ce n’était pas la première fois qu’une IA racontait une connerie doctement. Dans un autre registre, les IA donnent par exemple des fausses informations pour obtenir des visas (Australie, Chili). Je trouve ça préoccupant. Le mieux est donc de faire appel à ces outils avec modération et en vérifiant toujours avec des sources annexes.
Je ne vais pas m’étendre sur le sujet des deep fakes mais c’est aussi un très gros sujet. Les documents visuels, audios font souvent offices de preuves dans notre société. Comment pouvoir continuer de faire confiance à ces éléments s’il est possible très simplement de les détourner, refaire ?
Enfin en janvier, j’écrivais le texte IA pour inarrêtable apathie: je reste sur la même ligne directrice. Je n’ai pas envie de m’intéresser à de l’art généré par des machines, sans pensée humaine. Ils ne font que régurgiter ce qu’on leur a donné. L’art est une création de l’homme, une marque de son génie. C’est cela qui m’intéresse. Je ne veux pas subir des morceaux générés par IA dans les sites de streaming pour éviter de donner de la maille à des vrais musiciens. L’IA est outil, bien utilisé il doit être possible d’en faire quelque chose d’intéressant comme tous les outils. Je constate cependant dans les faits que la plupart des gens utilisent l’IA pour reproduire des clichés encore plus assommants que les inspirations. Ce n’est pas de l’art, cela n’a pas d’âme. Pour en revenir au cas de Ghibli: ChatGPT peut générer des visuels qui font la blague mais certainement pas le niveau de profondeur des histoires ou la beautés des détails dans les visuels et animations. Je pense qu’il faut de l’humanité pour réaliser une belle histoire car il y a nécessairement une part de vrai/soi dans une œuvre de fiction quand bien même le personnage ou le sujet sont détestables.