OPINION: Une finale de Top Chef, une analogie avec la musique

Mardi 19 juin 2024 était diffusée sur M6 la grande finale de la quinzième saison de Top Chef. Comme vous le savez peut-être je suis avec assiduité le programme, au point d’y avoir fait référence récemment dans ma chronique de l’album de LORD$, Speed It Up (Tricatel, 2024) pour Section 26.

En fin d’article une sélection de 5 albums par finaliste de Top Chef histoire de tenter de rapprocher les deux domaines !

Une excellente finale de Top Chef

Il n’est pas si simple de passer d’une proposition en deux heures autour d’une thématique à un menu libre pour plus de 100 couverts. Cette quinzième finale était une opposition de style entre Jorick Dorignac et Clotaire Poirier. Le premier était le favori naturel de l’épreuve suite à son parcours sans faute dans toute la saison. De son coté, Clotaire était l’outsider et là pour jouer le trouble-fête.

Je pense que ces positions respectives ont influencé leur approche de l’épreuve. Jorick a joué la carte de la sécurité avec des plats autour de produits rassurants mais néanmoins très travaillés. Il les a mis en perspective grâce à quelques éléments plus inattendus, ajoutés par touche. De son coté, son adversaire a déroulé une partition beaucoup plus improvisée en s’appuyant sur sa brigade et en essayant le plus possible de déployer sa cuisine.

Les chefs ont à l’unanimité préféré l’approche de Clotaire Poirier face à celle de Jorick Dorignac. Pourtant, ce dernier (qui était le favori de l’épreuve) l’a finalement emporté grâce aux 100 personnes du public.

Deux approches de la cuisine, deux approches du jazz

Il y a dans la démarche de Jorick et Clotaire quelque chose qui ressemble au jazz dans leur comportement avec les brigades.

Jorick a détaillé le plus possible son menu à la manière d’un arrangeur qui écrirait les partitions d’un big band. De son coté Clotaire a d’avantage laissé ses lieutenants improviser dans un esprit plus proche d’un quartet de jazz utilisant les standards comme point de départ pour tenter de trouver la magie en concert.

Des menus très différents à l’image de la musique !

Au niveau des menus, Jorick et Clotaire ont également pris des directions différentes. Jorick, en tant que favori, s’est surtout adressé au public quand Clotaire (en position d’outsider) a joué le tout pour le tout.

Il y a là dedans quelque chose de très similaire à ce qui se joue en musique. Fait-on de la musique pour plaire au plus grand nombre ou alors s’adresser aux plus téméraires et aux professionnels ?

Le choix de Jorick lui a été reproché sur twitter. Certains dénonçaient en effet l’absence de goût d’un public moins spécialisé. Pourtant, quand on s’intéresse à la musique pop, celle-ci est loin d’être uniforme. Il est possible de s’adresser au plus grand nombre en proposant quelque chose de très qualitatif, personnel et ambitieux. Il me semble que Jorick Dorignac a ici tenté cela. La musique pop peut être très simpliste mais aussi au contraire discrètement complexe et subtile. J’en parlais justement à propos de Pinback il y a quelques jours: leur musique n’est pas très flashy mais offre une profondeur exceptionnelle. Mais les exemples dans l’histoire ne manque pas: la Motown, la paire Hal David/Burt Bacharach et tant d’autres !

De son coté Clotaire Poirier a d’avantage cherché à affirmer son style en tant que cuisinier. Ce choix a beaucoup plu au jury mais a été plus clivant avec le grand public. C’est aussi le propre de cette stratégie: plaire et déplaire tout autant. Certains artistes ou groupes sont réputés faire de la musique pour musiciens. Ce terme peut regrouper des choses extrêmement différentes, allant de la délicatesse des accordages de Nick Drake en passant par la démarche très cérébrale de Jacob Collier ou le jazz fusion de Jaco Pastorius/Weather Report.

Pour ma part je pense que les deux approches vues à Top Chef sont valides et peuvent être transcendées par ceux qui les choisissent. Je ne vois pas la musique expérimentale, très exigeante à faire comme nécessairement supérieure à la musique pop. L’épure, la simplicité, la capacité à intégrer des idées originales dans un cadre plus traditionnel sont aussi de très belles qualités, vraiment pas simples à maîtriser ! Les deux confiées à des artistes sauront trouver un ton juste et élégant.

Les albums de Clotaire Poirier

Pour Clotaire, j’imagine des albums liés à son parcours professionnel, son goût pour l’expérience et la forêt. Je partirai donc sur la sélection suivante.

Boards of Canada Geogaddi (Warp, 2002)

BoC est un des groupes les plus influents de l’electronica des années 2000 et Geogaddi est un de leurs albums les plus emblématiques. Un des fleurons du mythique label Warp. Mystérieuse, originale, légèrement accidentée, avec des thématiques autour de la nature et de l’enfance, Geogaddi accompagne à merveille les cueillettes de Clotaire.

Iceage New Brigade (What’s Your Rupture?, 2011)

Iceage est un groupe originaire de Copenhague. La formation danoise a marqué les esprits avec un premier album très punk et radical.

Tame Impala Lonerism (Modular, 2012)

Clotaire a pas mal voyagé, notamment en Australie comme en témoignait son opéra. Amusant de proposer un album enregistré par un Australien en France ! Un des chefs d’œuvre de Tame Impala mais toute sa discographie est excellente.

Neu! Neu! (Brain, 1972)

Clotaire a laissé beaucoup de place à l’improvisation lors de sa finale Top Chef, avec beaucoup de réussite. Il fallait lui associer un disque avec cet aspect improvisé. J’ai donc penser au classique premier album de Neu!, un album essentiel du krautrock mais aussi de la musique des années 70. À la fois radical, planant mais aussi assez subtil.

Jacques LIMPORTANCEDUVIDE (Recherche et Développement, 2022)

Jacques et Clotaire ont presque le même âge (à un an près) et aiment tous les deux expérimenter et tenter des choses hors du cadre tout en restant ludique et léger !

Les albums de Jorick Dorignac

Pour Jorick, j’imagine une sélection un peu plus accessible et identifiable. De la technique au service d’une œuvre lisible et percutante.

L’impératrice Tako Tsubo (Microqlima, 2021)

L’impératrice est un groupe ambitieux et très technique mais toujours au service d’une musique légère et accessible. Je pense que cela colle bien avec l’esprit de la cuisine de Jorick sur la finale.

The Lemon Twigs A Dream Is all We Know (Captured Tracks, 2024)

Comme les Lemon Twigs cette année, Jorick avait une certaine pression sur les épaules pendant la finale avec son statut de favoris de la compétition Top Chef. Le groupe américaine et le cuisinier français ont relevé leur manche et passé avec brio ce défi ! Je pense que la délicatesse de la musique du duo ainsi que ses influences lisibles collent aussi très bien avec l’esprit de Jorick.

Altin Gün Gece (Glitterbeat, 2019)

Jorick a fait référence quelques fois à la cuisine méditerranéenne, alors pourquoi pas lui associer les turques/néerlandais d’Altin Gün ? Une musique accessible, avenante mais avec une vraie personnalité et enracinée dans l’authenticité. Je pense aussi que certains albums de Khruangbin colleraient bien à Jorick.

Steely Dan Aja (ABC, 1977)

Jorick est un perfectionniste tout comme Steely Dan. Je trouve qu’il y a une certaine similitude entre l’obsession pour le studio du groupe américain et celle des détails pour Jorick. La musique de Steely Dan est d’ailleurs assez accessible tout en étant très très exigeante.

Michel Fugain et le Big Bazar Michel Fugain et le Big Bazar (CBS, 1972)

Pour terminer cette sélection dédiée à Top Chef, je voulais trouver un disque qui respire (positivement) l’esprit français. Les chansons de Michel Fugain ont traversé les décennies mais n’en sont pas moins excellentes. Cet album est peut être son classique avec des standards comme la géniale Une Belle Histoire.

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