Je n’ai absolument rien contre le principe d’algorithme de recommandations, certains sont d’ailleurs super, mais y avoir systématiquement recours pose de nombreuses questions.
Hier SensCritique, le site préféré des snobs culturels (mais pas que), annonçait supprimer les notes au profit de pourcentage de recommandations similaire à ce que pratique Netlfix. Bref la note des usagers devait disparaître au profit d’un mystérieux algorithme. Enorme et logique levée de bouclier: le site annonce que c’était une blague pour lancer une extension disponible sur Chrome, Netflix etc.
Recul à marche forcée ou tentative de buzz un peu foirée ? La démarche a été prise au sérieux par la plupart des utilisateurs et on les comprend: c’est actuellement le sens de l’histoire que de remplacer des notes par un vague algorithme. Je peux croire que ce n’était pas le cas chez SensCritique, compte tenu de l’orientation générale du site, mais il est évident que ça pourrait arriver ici ou ailleurs. Il y a bien des avantages à remplacer des notes sincères (et donc pas forcément avantageuses) par un pourcentage calculé mystérieusement. Cela a évidemment plus de sex appeal pour des marques susceptibles d’investir dans de la publicité. Au lieu d’avoir un disque ou un film démonté par les utilisateurs, on planque les mauvais retours derrière un algorithme gentil avec le produit culturel.
L’algorithme est la plupart du temps une boîte noire: comment est-il nourrit? Les critères sont-ils objectifs et sincères ou orientés pour favoriser des acteurs en particulier ? Tant de questions et peu de réponses ! Après je ne suis pas du tout contre les algorithmes. Certains sont mêmes excellents et me permettent parfois de découvrir de la musique. J’apprécie en particulier celui de Youtube qui au delà de créer des hypes sur des disques improbables me suggèrent souvent des morceaux intéressants ! Je suis, à l’inverse, nettement moins séduit par celui de Netflix qui représente peut être mieux qu’aucun autre ce qui me gêne dans les algorithmes…
Quand je me balade sur l’interface de Netflix avec ma chère et tendre, j’ai l’impression de voir systématiquement les mêmes trucs mis en avant. Je ne me fie rarement aux pourcentages et je préfère m’en remettre à des éléments plus objectifs: pitch, acteurs, époque, réalisateur etc. Sur Spotify aussi j’ai rarement trouvé ça concluant, au point de n’avoir jamais eu envie d’y prendre un abonnement !
Globalement les algorithmes nous accompagnent dans une zone de confort de laquelle il sera de plus en plus difficile d’échapper. À l’époque des bulles informationnelles qui nous coupent d’une sorte de vérité objective, les algorithmes sont souvent là pour arrondir les angles et nous empêcher de regarder à l’horizon. On pourra argumenter à juste titre que l’algorithme n’est qu’un outil et pas une finalité. Très juste, pour autant, comme le sucre: c’est pas parce que c’est bon sur le moment que ça nous fait du bien sur le long terme ! Cette facilité et efficacité se font au détriment de la prise de risque et de l’encouragement à explorer.
Il n’y a rien de plus plaisant que d’être agréablement surpris par une oeuvre culturelle. Découvrir un morceau en faisant ses courses ou chez un disquaire et se sentir immédiatement connecté sans avoir jamais entendu autre chose du groupe qui l’a écrit. Se prendre une claque en prenant un film en cours de route et se laisser happer comme jamais. Bref le hasard a du bon. Les découvertes accidentelles contribuent à construire notre panthéon personnelle. La découverte, le plaisir de se confronter à une oeuvre ne doivent pas être rationalisées et optimisées.
La tendance générale est pourtant là: nous ne devons pas perdre de temps et optimiser la moindre seconde disponible. Je ne comprends pas forcément le plaisir de soumettre ses jardins secrets et sa passion à cet impitoyable processus. Après l’outil en soi est intéressant et peut nous apporter beaucoup mais il serait dommage de s’en contenter et de ne pas chercher à contourner l’algorithme de temps en temps, le déjouer même.
Je me suis parfois pris des claques improbables. Je me souviens avoir été soufflé par Deerhoof en live alors que je venais voir un autre groupe. Je me rappelle également du coup de foudre pour Eddy Current Suppression Ring car il passait dans le disquaire Born Bad rue Keller ! J’ai aussi le souvenir de films qui ont marqué ma mémoire à travers des passages télévisuels improbables, tel que Punishment Park un jour sur Arte…
Il ne s’agit pas de vouloir voir disparaître l’algorithme mais peut être de chercher à le compléter et ne pas le laisser devenir votre seule source de découverte. Vos potes, les sites, la presse, l’environnement, les concerts: laissez venir la musique (et les oeuvres culturelles en général) à vous !
Par ailleurs pour mes zicos favoris, un excellent site style SensCrique pour la musique: le fameux RYM.
6 thoughts on “OPINION: Algorithme, tu nous enfermes”