OPINION: les Nouvelles du Front (Inter, disquaires, streaming, faire un label indépendant en 2025 etc.)

Initialement ces nouvelles du front devaient formé un petit texte léger mais les choses se sont précipitées. Jeudi nous apprenions la démission de l’équipe de l’Inter parmi d’autres nouvelles. Un crêve-coeur tant l’Inter représente une certaine idée de l’indépendance.

À cela s’ajoute la participation de Pigasse à la Route du Rock, une étude du FELIN, un texte passionnant sur les labels indépendants en 2025 et quelques autres bricoles récupérées en chemin.

Si vous deviez me demander un état de la musique indépendante en 2025, je pense que toutes ces informations donnent une compréhension globale du sujet assez intéressante. Peut-être un peu déprimante aussi soyons honnête. Il faut alors se remettre quelques albums récents sur la platine pour se rassurer sur la possibilité de faire des choses passionnantes malgré un contexte pas toujours favorable.

Saluons ici tous les activistes à travers le monde qui aide la musique indé à exister et proposer une vraie alternative à un univers de plus en plus formaté. On démarre tout de suite autour de l’Inter.

Départ de l’équipe de programmation de l’Inter

Le 19 mars dernier, j’évoquais ici même le sort du Motel et du Tony. Nous savions que la situation de l’Inter était suspendue à la possibilité de faire des travaux au sous-sol pour organiser des concerts. L’équipe a publié un communiqué le 16 avril 2025. Elle part faute de pouvoir trouver une solution pérenne. Il y aura la teuf à l’Inter, jusqu’au 26 avril inclus.

Sur Section 26, dans un excellent texte, il était notamment évoqué l’impossibilité de trouver pour l’Inter un arrangement avec la mairie de Paris ou le CNM (centre national de la musique). Si l’on n’est pas surpris de ce manque d’intérêt de les représentants de l’état, il est toujours décevant d’y être confronté. Des lieux comme l’Inter ont une réelle utilité: ils offrent la possibilité de passer de l’amateurisme au professionnalisme. Il y a, depuis quelques temps, un débat autour de l’importance de préserver les grassroots venues (par exemple dans le Guardian) en Angleterre, on peut regretter que le débat ne dépasse pas la sphère indépendante en France. L’Inter est typiquement un endroit qui offre la possibilité à des groupes de découvrir l’expérience du live et un lieu de vie très important pour la scène. Ci-dessous, le communiqué, très pertinent de l’équipe de l’Inter.

Un soutien financier de Pigasse à la Route du Rock

Si beaucoup de structures (médias, lieux) périclitent comme l’Inter ou le Motel, d’autres sont sauvées par des pactes faustiens. Le magnat de la banque d’affaire et des médias Matthieu Pigasse vient d’apporter son soutien financier à la Route du Rock (information Ouest France). On espère que ces derniers ont bien bétonné le truc pour ne pas se faire bouffer par la némésis de Bolloré. Si l’influence de Pigasse est moindre que celle du catholique conservateur, il imprime aussi une idéologie aux médias qu’il récupère. Il la dénonce de l’autre bord (une tribune) mais fait exactement pareil au fond. Il suffit de constater le changement de ligne éditoriale important de Radio Nova. D’une radio libre animée par la découverte et la défense de la sono mondiale, là voici succursale pour les déçus de France Inter. Les audiences progressent, tant mieux, mais ce n’est pas la radio que l’on a admirée. Maintenant, ne faisons pas de gatekeeping, l’époque a changé, les envies des auditeurs aussi.

émerger sur les plateformes

C’est le nom d’une étude proposée par le syndicat FELIN (un syndicat des labels indépendants français), autour de la découverte musicale et la possibilité d’émerger à l’ère du streaming. Voici le lien pour la consulter.

Elle se divise en quatre modules:

Je vous invite à les consulter si vous êtes dans la situation d’améliorer vos stats sur les sites de streaming. Il y a notamment l’importance de soigner les métadonnées qui y est évoqué. Pour ma part je ne goute pas spécialement le streaming (je n’ai toujours pas d’abonnement payant à des sites de streaming musicaux), reste que c’est cool si la musique que j’aime y est mieux défendue.

Le contenu de l’étude confirme certains points évoqués ici, notamment l’importance de l’algorithme dans les recommandations. Elle évoque ainsi l’importance de youtube et de la radio dans la découverte. Je trouve ça plutôt chouette que la radio ait toujours une importance. Espérons que l’état en ait conscience et défende la diversité à travers les radio campus ou FIP !

En tout cas si vous souhaitez découvrir activement de la musique, je vous recommande ma série d’article sur le sujet:

France Info et le disquaire day

À l’occasion du disquaire day de nombreux médias évoquent les disquaires. France Info a fait une petite pastille sur le sujet autour de deux disquaires parisiens: Hark et Bar Italia. Ces disquaires ont été choisi par rapport à leur présence dans la liste du Financial Times que j’évoquais le 7 mars dernier.

Dans la vidéo il est évoqué une renaissance des disquaires indépendant qui serait bien plus qu’il y a une quinzaine d’années. J’ai un peu tiqué sur cette phrase et je m’interroge. Comme vous le savez, en bonne Cassandre que je suis, je pense que les disquaires sont en danger. Cet article avait d’ailleurs eu un certain écho sur facebook où il avait pas mal repartagé par les concernés.

Je fréquente les disquaires parisiens depuis 2001, donc 24 ans. J’ai connu de nombreuses ouvertures et fermetures de boutiques. J’ai quand même le sentiment de vivre aujourd’hui une situation où l’activité est précaire et l’offre moins florissante qu’il y a quelques années (par exemple avant le COVID). J’ai conscience qu’il s’agit d’une expérience personnelle, au doigt mouillé. De ce fait je serai curieux d’avoir des statistiques précises sur le sujet, mais existent-elles ?

Par ailleurs, cette courte vidéo soulève un autre point intéressant. Beaucoup de disquaires misent sur l’événementiel (rendre l’achat exceptionnel avec une expérience associée). Je pense par exemple à la venue de Boombass de Cassius à Hark pour vendre sa collection. L’intention est louable; le disquaire day participe aussi à cette évolution. Ce rendez vous est devenu indispensable financièrement pour de nombreux lieux et son succès s’apparente à la St Valentin pour les fleuristes. Je suis personnellement assez attaché à l’expérience classique du disquaire mais je comprends le besoin d’avoir recours à ces stratégies pour améliorer l’activité.

Les gens achètent de la musique

Le 26 mars j’évoquais ici même (lien vers l’article) les statistiques récentes autour du vinyle. Le marché continue de progresser mais il cache selon moi une situation très contrastée et potentiellement problématique à long terme. Sans refaire toute ma démonstration à nouveau, je suis tombé (via bluesky pour une fois) sur un édito/papier du site unlockyoursound qui finalement va exactement dans mon sens, mais sans le vouloir !

De manière provocante, il s’intitule People Do Buy Music, Actually! c’est à dire (traduction approximative mais respectueuse de l’idée), En fait les gens achètent toujours de la musique !. Sans le paraphraser, voici quelques arguments évoqués par son auteur:

  • tout le monde n’achète pas de musique mais les VRAIS FANS DE MUSIQUE oui
  • on se focalise trop sur le streaming mais on oublie qu’il y a encore des gens qui achètent des disques
  • l’achat de musique n’a pas à être rationnelle, la valeur est personnelle à l’acheteur
  • si les gens achètent de la musique pour y accéder, c’est surtout pour se connecter à un artiste comme il le ferait avec des t-shirts.

Je pense que vous voyez déjà où je vais en venir. Ici je défends avant tout l’accès à la musique à travers le disque. En août 2023, c’était même un de mes arguments pour commencer une collection de vinyles (le cinquième point: la disponibilité). J’ai vraiment un problème avec la manière dont le marché évolue actuellement. Certes les chiffres d’affaire du secteur continuent d’augmenter tous les ans, mais cela cache selon moi une situation contrastée. L’article va d’ailleurs, au fond, dans mon sens: il explique clairement que ce sont les fans qui achètent des disques comme ils le feraient avec d’autres formes de merch (t-shirts et cie) pour se connecter avec un artiste. Là où l’auteur y voit une bénédiction, j’y vois un potentiel appauvrissement de l’offre à terme.

Cela décorrèle le prix d’un vinyle (les vinyles neufs sont trop chers) du marché: le disque n’a plus un prix relativement standard/unique (20 à 30€ le LP) mais toute une gamme de prix (20-60€), quand bien même l’objet, en lui même, est très similaire. Cela contribue à brouiller le marché et le rendre plus opaque. De fait on n’achète plus un vinyle de musique mais un objet de merch d’un artiste. Il ne faut alors plus comparer aux autres vinyles mais au reste du merch du dit artiste.

C’est une manière sournoise de capter plus d’argents sur les gros artistes au détriment du reste du marché. En admettant que vous aviez un budget de 50€. Si tous les disques sont autour de 25€ (un prix réaliste dans les conditions actuelles), vous en achetez deux: la star et le coup de cœur. Si la star propose son vinyle à 50€ beaucoup de gens ne vont plus acheter le deuxième disque. On sait exactement qui va trinquer: les labels indépendants, les projets plus hasardeux. L’acheteur n’aime pas l’incertitude, or la frange indépendante est une suite de hasard.

Enfin, j’aimerai revenir sur le terme de vrai fan de musique que j’ai même mentionné plus haut en majuscule. Là je ne suis pas d’accord avec l’auteur. Il y a différents profiles de fans de musique , certains sont à fond sur des artistes spécifiques quand d’autres essaient d’écouter beaucoup de choses différentes. Il est évident que les seconds ne feront pas la course à l’échalote pour acquérir des disques à 50€ pièce. Ce n’en sont pas moins de véritables fans de musique aussi.

Faire un label indépendant en 2025

Grâce à bluesky, je suis tombé sur un article excellent, autour de l’expérience de faire un label en 2025, publié sur la plateforme Substack. Le papier est conséquent mais passionnant. Il recoupe de nombreuses interrogations/réflexions que j’ai aussi de mon coté. Il est écrit par Nick Sylvester, un producteur de Los Angeles et ancien membre du groupe Mr. Dream.

Ayant moi même fait des labels à une période similaire, j’y retrouve beaucoup de notre vécu. Nous (mon frère et moi) aussi, comme l’auteur, nous avons fait cela car nous aimions nous même les labels. Que ce soit des labels indépendants (Born Bad, In The Red, Caputed Tracks, Slumberland, Trouble In Mind, Creation, Sarah…) ou de musique électronique (Locked On, Botchit & Scarper, Wall of Sound etc.), c’est quelque chose que auquel nous étions attentifs. Participé à la matérialisation d’une scène, offrir une sélection de musique soigneusement choisies, voilà quelques unes de nos motivations.

Quelques passages m’ont particulièrement marqué dans l’article. Je fais une traduction en français (à l’arrache), allez lire la version originale !

Le public croit d’avantage l’artiste dans son environnement non artistique. [….] La musique est importante dans la mesure ou elle sert cette fiction. C’est pourquoi les labels les plus établis financièrement mettent de l’argent sur des artistes qui sont déjà de très bons CM pour eux mêmes. Les artistes obtiennent des signatures en label car ils sont bon par eux même en marketing.

Les artistes n’ont pas besoin d’un label pour l’aspect créatif non plus. Beaucoup de gens – dont moi – on démarré des labels dans l’esprit de la Motown: un label avec un son défini, une sensibilité, où tout a été enregistré dans le même studio avec les mêmes musiciens, la même console etc. Peut-être était-ce une nécessité par le passé […] mais une part importante du son d’un label était un choix actif et non passif – ce qui veut dire qu’un artiste acceptait dans une certaine mesure des décisions du label comme le style d’enregistrement ou la pochette. Je trouve que de moins en moins d’artistes veulent ça, ils veulent juste que tu leur files de l’argent pour payer les gens avec lesquels ils travaillent déjà [….]. Désormais, à partir du moment ou un artiste est dans le radar, il a certainement déjà développé son propre son et son propre public. Cela marche déjà dans sa tête, pourquoi alors changer ce qui fonctionne ?

Il reste alors la curation. Les labels étaient très importants dans ce domaine il y a vingt ans. Les disquaires organisaient même leurs bacs en fonction des labels ! Les labels avaient une signification, que ce soit la qualité des sorties, ou leur sensibilité. D’une certaine manière, les labels étaient aussi des artistes. Avec le streaming ce rôle a eu les jambes coupées. Les labels ne sont désormais plus la face visible aux yeux des acheteurs de disques. Bien sûr que tu peux suivre un label à travers sa playlist spotify mais le premier curateur c’est l’algorithme de la plateforme. La plateforme est désormais l’artiste.

Je suis choqué du nombre d’artistes talentueux avec lesquels je travaille qui n’ont pas de compréhension fine du rôle de label dans la curation. Des artistes qui font de la dream pop et n’ont jamais entendu parlé de 4AD ou des gens qui font de la house french touch qui ne connaissent pas Crydamoure. Je ne juge pas, mais constate.

L’article comprend de nombreux points intéressants que vous pourrez découvrir par vous même. Reste que j’ai particulièrement été sensible au passage ci-dessus. Je regrette vraiment aussi que les labels intéressent moins le public, y compris indépendant. À une époque pas si lointaine, un disque Sarah, Matador, Rough Trade etc. avait une force.

2 thoughts on “OPINION: les Nouvelles du Front (Inter, disquaires, streaming, faire un label indépendant en 2025 etc.)

  1. enjoy Alexandre la moisson du jour est foisonnante et passionnante ” LA PLAYLIST DES NOUVEAUTÉS ET DE REEDITIONS DE COEUR DE MR Alexandre Persévérance PART 19 EN 12 DISQUES (mes maitres mots sont diversité, pluralité et éclectisme https://perseverancevinylique.wordpress.com/2025/04/19/la-playlist-des-nouveautes-et-de-reeditions-de-coeur-de-mr-alexandre-perseverance-part-19-en-12-disques-mes-maitres-mots-sont-diversite-pluralite-et-eclectisme/

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