Les albums tax scam

Aujourd’hui nous inaugurons une nouvelle rubrique Curios au sein de la catégorie Autour du vinyle. Nous vous y proposons de découvrir des bizarreries et plus généralement des usages du support vinyle marginaux et étonnants. Nous démarrons cette série par un morceau de choix: les albums tax scam ! Il existe pas mal de source en langue anglophone mais pas grand chose (à ma connaissance en tout cas) dans l’univers francophone. Prêt pour une exploration aux confins de l’étrange ? Suivez nous !

Tax scam ?

En français, tax scam peut se traduire par fraude fiscale. Dans les années 70, des labels nord-américains trouvent une niche fiscale pour déclarer des pertes et économiser en taxe. Cette technique ne semble cependant guère légale. Elle consiste à créer un sous-label qui va produire massivement des disques destinés à être ensuite pilonnés. Ces disques détruits passent ensuite en perte et créent une réduction de taxes. Dans les faits pas la peine de faire de gros pressages, il suffit juste de faire exister le disque physiquement ! Les labels ne pressent pas les quantités annoncées, n’utilisent pas non plus le budget enregistrement écrit dans la comptabilité.

La technique est aussi utilisée au profit d’investisseurs privés. Le principe est similaire: déclarer des pertes importantes. Les labels se transforment alors en prestataire de service: ils fournissent clef en main des albums qui ne marchent pas.

Quand ?

Les albums tax scam semblent avoir existé particulièrement pendant les années 70 et plus spécifiquement sur la période 1976-1978. Il existerait cependant des exemples antérieurs, notamment sur le label des Tokens, BT Puppy. Cette assertion est largement sujette à caution: ces échecs pourraient être involontaires et ne pas être une tentative d’optimisation fiscale ! Dans tous les cas, la période faste des albums tax scam ne dure que deux ans. Le fisc américain a du, par la suite, comprendre le truc ! Il existe cependant des cas ultérieurs: par exemple, le label (ou distributeur) Album World a été actif jusque dans les années 80.

Qui ?

Les deux exemples de labels tax scam les plus connus sont certainement Tiger Lily Records et Guinness Records. Le second serait une émanation de Dellwood records tandis que le premier est relié à Roulette Records. Si vous aimez la pop sixties, vous connaissez forcément ce label. Tommy James & The Shondells, The Choir ou Alive ‘N Kickin’ faisaient parti des signatures de la maison. Le plus étonnant chez Roulette reste son sulfureux patron Morris Levy, un personnage atypique proche de la mafia italienne. Il se pourrait même que le label fut une façade pour blanchir l’argent de la famille Genovese ! Morris Levy inspire même le personnage d’Hesh Rabkin dans les Sopranos. Personne ne sera donc surpris de retrouver Morris Levy aux commandes de cette arnaque !

Baby Grand revient également souvent. Le label produit des albums à la chaîne pour le compte de sociétés et personnes fortunées souhaitant faire de l’optimisation fiscale. L’idée était de dépenser 20 000$ pour la production d’un album et de faire économiser 100 000$ en impôts aux pourvoyeurs de fonds. Ces derniers recevaient les disques et les montraient à l’administration fiscale en gage de bonne foi de l’échec de l’album. Il semblerait que les personnes impliquées étaient au courant de la nature peu orthodoxe de la démarche. Sous la houlette d’un jeune Ron Fair, future figure de l’industrie musicale (président d’A&M records etc.), sont ainsi produits de nombreux albums à Los Angeles. D’autres courtiers auront moins de scrupules et créeront des disques à partir de matériels récupérés de manière frauduleuse…

Quoi ?

C’est tout l’intérêt des albums tax scams: les labels semblent avoir sorti tout ce qui leur tombaient entre les mains. Deux scénarios se dessinent. Il y a les albums tax scam où les groupes participent volontairement (ou presque) à la combine, puis les cas franchement frauduleux ou des brokers vont fournir le contenu en le trouvant un peu partout…

Des groupes acceptent la combinaison pour avoir une carte de visite. Bénéficiants de temps de studio et de disques physiques, ils acceptent de marcher dans le stratagème. Parfois cependant, les groupes ne sont pas prévenus que les disques ainsi produits sont destinés à être des échecs ! En tout cas dans cette catégorie de disques, nous retrouvons les productions de Ron Fair, les deux albums fin 70s de Jasper Wrath, Sonny Bottari, ou encore Felix Harp.

Dans la majorité des cas cependant, les albums tax scam ont été fait sans l’accord des groupes. Des brokers ont récupéré des démos ou des enregistrements studios payés par des managers et les vendent à des labels qui créent des groupes de toute pièce ayant l’air réel. L’histoire de Richard Goldman (voir les articles en lien ci-dessous sur le site dangerous mind) est particulièrement révélatrice. Ce dernier découvre au début des années 80 que ses démos du début des 70s, enregistrées avec son manager, figure sur un album du groupe Almost Famous. Sur les 8 titres de l’albums, six sont de lui et deux d’une source encore inconnue. Quelques années plus tard, le musicien découvre un second album (Gold, Sweethearts) publié chez Granya (émanation d’Album World) en 1977. Pour aller encore plus loin dans la folie: il existe une deuxième version de l’album d’Almost Famous où les compositions de Goldman ont été ré-enregistrées par un autre groupe !

Le monde fascinant des albums tax scam

Cette quête effrénée de matériel à sortir a conduit les labels à sortir des disques fous, marginaux, hors norme. La production oscille le génial et le très médiocre. Cela titille forcément les collectionneurs. De nombreux labels ont été toutefois bien débroussaillés au cours des dernières décennies. Il reste cependant des trous dans les numéros de catalogue de ces labels.

Dans le génial, mentionnons l’album exceptionnel de Stonewall. Ce groupe de Long Island pratique un hard rock psychédélique de première bourre. L’album a été réédité plusieurs fois, notamment (légalement) par Permanent Records.

Steve Drake Band constitue peut être l’exemple contraire. Derrière ce nom inspirant confiance, l’apprenti rock star Steve Kaczorowski. Ce dernier a tout simplement pris des morceaux de groupes qu’il aimait bien (Babe Ruth, Headstone etc.) et a chanté par dessus les titres originaux !

Nous trouvons aussi des héros de l’underground publiés à leurs dépends: l’album d’Hotgun contient ainsi plusieurs morceaux du groupe Ethos auquel appartenait R. Stevie Moore !

Bref le monde des albums tax scam est une fascinante anomalie des années 70. Si vous aimez la musique hors des sentiers battues, jetez y une oreille et n’hésitez pas à consulter la liste de liens ci-dessous (tous en anglais) qui me semble plutôt pertinente pour en savoir plus à ce sujet !

SOURCES, pour aller plus loin:

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