OPINION: La critique musicale a-t-elle encore un avenir ?

Après avoir évoqué mon rapport avec l’écriture autour de la musique, il faut aussi poser la question de l’utilité de la critique musicale au sein de notre écosystème. Pas de mystère superflu: je pense qu’elle a une réelle fonction. Cependant, chaque jour passé sur twitter nous rappelle à quel point l’exercice de la critique musicale se heurte à des incompréhension de la part des stans ou des groupes eux même. Essayons de faire le tour de la question.

la critique musicale, un secteur guère en forme

Chaque semaine amène son lot de mauvaise nouvelle autour de l’écriture sur la musique. En France la presse musicale nous alertait sur le sujet en octobre dernier. La disparition de Vice, les tentatives récentes de redressage de bandcamp ou pitchfork (accompagnées de licenciements très importants) sont autant d’indicateurs de la précarité du secteur. En France, j’ai pu aussi constater, à mon niveau, en tentant de faire connaître les disques de Requiem Pour Un Twister & Croque Macadam, que le nombre de blogs avait drastiquement baissé entre nos débuts (2011) et aujourd’hui.

De nombreuses raisons

Il y a de nombreuses raisons à ce désamour et ce désintérêt autour de la critique musicale. Certaines sont le fait du secteur lui même mais pour d’autre, celui-ci subit un contexte plus général.

La presse dans son ensemble subit en effet de plein de fouet la difficulté de créer des modèles économiques en se développant dans le numérique. Pour quelques réussites par abonnement (Médiapart, les Jours) combien d’échec ? Le numérique a fait prendre de mauvais réflexe aux lecteurs.

Autre raison, celle-ci du fait d’une partie de la presse musicale: le poptimisme. J’insiste souvent sur le sujet mais je crois sincèrement qu’embrasser le poptimisme pour un certain nombre de titres de presse fut un échec aussi bien en terme commercial (perte de lecteurs historiques) qu’en terme de valeur ajoutée pour les personnes qui ne seraient pas rebutées. Le poptimisme est souvent accompagné d’une bienveillance hypocrite qui favorise encore et toujours les plus forts. Beaucoup de lecteurs et lectrices historiques ne sont tout simplement pas intéressés à lire des analyses de 100 000 signes autour d’artistes qui ne les concernent pas et dont les angles ne sont pas souvent réussis. Les nouveaux lecteurs potentiels, eux ne sont souvent pas séduits par ces textes qui sont parfois à coté de la plaque. De surcroit, ceux-ci s’interdisent souvent d’être nuancé ou d’oser émettre réellement une opinion sur un disque. Le relativisme comme objectif est une négation même du rôle de la critique. Si on considère que toutes les œuvres se valent, il en est de même des avis.

Du coté des amateurs (dont je fais parti), tenir des blogs est une activité aussi prenante que difficile à maintenir sur la longueur. Le journalisme musical ne faisant plus rêvé autant, les vocations se réduisent d’autant. Ainsi les sites disparaissent au gré des évolutions de vie des uns et des autres.

De la nécessité d’une critique musicale

Spotify et consorts ont créé l’illusion que la critique musicale était dispensable. La thèse souvent avancée est la suivante: tout le monde peut écouter un disque le jour de sa sortie et se faire un propre avis sans devoir acheter le CD. Cette belle idée a de nombreux bémols. Certains albums nécessitent en effet de nombreuses écoutes pour devenir des indispensables de nos vies. Les anglophones parlent de growers et je pense que ça résume bien cette idée (un album qui se développe et nous accompagne). Ces disques ont-ils une chance de passer la barrière fatidique de l’écoute distraite sur spotify ?

Autre écueil de la découverte par soi même: comment s’y retrouver dans la masse infinie de sorties ? C’est un fait, il y a trop de musique, en tout cas par rapport à ce qu’il est humainement possible d’écouter dans une vie ! Comment s’y retrouver et débusquer ces albums qui pourront nous accompagner pendant des années. Je pense que la critique musicale a ici toute sa place, celle de mettre en avant des beaux projets, qui n’ont pas toujours été accompagné de grosses campagnes de RP ou sont en tout cas passés sous le radar.

Je pense que les algorithmes sont un outil de découvertes parmi de nombreux autres mais présentent des sérieuses limites. Souvent, ils nous enferment et conduisent à une forme de monotonie/apathie. Récemment dans un bar, une playlist tournait. Je pense que c’était une playlist générée par Spotify. La musique était très bien mais tout finissait par se ressembler et se fondre dans une sorte de magma flou. Il devenait alors difficile d’identifier des coups de cœur au milieu de ce flux continu. Je pense que l’intervention humaine à travers le geste de la critique musicale devient une parade à cela.

Ne pas exclure le négatif

Les désormais rares journalistes à se confronter à la critique musicale ont rarement envi d’être négatif dans leurs chroniques. Ecrire sur un disque que l’on n’a pas aimé est un exercice aussi difficile qu’ingrat. Pourtant, ces critiques négatives sont importantes et doivent être défendues. N’écrire que sur les bons disques peut en effet donner l’impression que tout se vaut. Il faut parfois se donner la peine d’expliquer pourquoi nous n’avons pas aimé un disque. Cet exercice doit bien sûr être approché sainement. Il s’agit d’essayer d’expliquer ce qui nous a paru à coté de la plaque sans attaquer les personnes. Il est important de rappeler que le disque est la résultante d’un artiste (ou groupe) mais pas un jugement sur les gens eux même. Bref aussi sensible soit l’exercice, beaucoup se l’interdisent, que ce soit pour ne pas avoir à développer sur des choses qu’ils n’ont pas aimé ou ne pas se confronter à des stans ou groupes fâchés par le contenu.

Un soutien de la part de l’écosystème

Les labels et les artistes doivent soutenir, même modestement la critique musicale, par exemple en relayant les articles sur leurs canaux. Bien sûr, il ne s’agit pas de retransmettre des contenus négatifs mais il ne faut pas non plus chercher à les rendre illégitimes. Il est important que chacun puisse s’exprimer sans craindre l’opprobre, surtout pour un sujet aussi léger et trivial que la musique.

Tout le monde a à gagner d’une critique musicale en meilleur forme. Les labels et artistes pourront être d’avantage mise en avant, notamment sur des critères qui ne sont pas lié à l’économique. Cela passerait pas prendre l’habitude de ne pas proposer des exclusivités systématiquement aux plus gros médias (en se reportant sur les autres ensuite), en particulier quand ils ne sont pas les plus légitimes.

Le public aussi y trouverait son compte, car les propositions et suggestions seraient plus variées et originales. Bref nous sommes tous dans le même bateau et cela ferait du bien à l’écosystème que d’avoir des médias plus forts et capables de vraiment pousser des groupes et d’être des hauts parleurs pour les scènes actuelles ou la construction d’une culture commune.

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