De Rolling Stone en passant par Pitchfork, l’album est une valeur cardinale, notamment des classements de fin d’année ou de décennie. Pourtant à l’ère du streaming, les playlists et les chansons ont regagné quelques galons et contestent cette hégémonie. Quelques réflexions autour de ce support.
L’émergence du format album
initialement, les premiers disques (78 tours etc.) ne contenaient qu’une chanson par face. Il faut attendre les années 30 et l’émergence du 33 tours microsillon pour que le concept d’album tel que nous le connaissons aujourd’hui prenne forme. Le premier genre à en bénéficier est certainement le jazz. Dans les années 50, le rock s’envisage souvent d’abord en 45 tours avant d’être compilé en album. Il faut ainsi attendre le milieu des années 60 pour que le rock, en recherche de légitimité, s’intéresse sérieusement à ce format. Les albums concepts (SF Sorrow des Pretty Things, Sgt. Pepper’s des Beatles, Tommy des Who etc.) inscrivent le format dans la durée.
l’album devient une unité de mesure
L’émergence du format album dans le rock s’accompagne de la fondation de la critique rock telle qu’elle existe (plus ou moins) encore aujourd’hui. L’album s’impose alors comme le format roi, celui qu’on chronique et sur lequel on disserte. La majorité des listes rétrospectives repose ainsi, encore aujourd’hui, sur l’album. Le 33 tours crédibilise le rock: cette musique pour les adolescents écervelés devient alors une œuvre artistique à part entière. Il faut le reconnaître, le 33 tours est au 45 tours ce que le roman est à la nouvelle. Sur un album, il est possible d’allonger les formats, de développer ainsi d’avantage les climats et les arrangements. Tout cela concoure à rendre le 33 tours un peu spécial.
une lecture parcellaire de l’histoire de la musique
L’album a les défauts de ses qualités. S’il permet du temps pour installer un propos, il met aussi à l’écart les genres musicaux basés sur l’efficacité. Certains styles s’épanouissent ainsi mieux en 45 tours ou en maxis qu’en albums. Selon moi, c’est par exemple le cas de: la powerpop, le garage-rock, le punk, la disco, la house, la techno, l’italo-disco, l’electro-funk, le boogie, le rock & roll etc. De fait, l’analyse au prisme de l’album occulte une partie de la réalité et la distord.
un règne sur la fin ?
Avec l’émergence du streaming, l’album est malmené. Beaucoup d’utilisateurs ne les écoutent qu’une ou deux fois pour sélectionner les morceaux qu’ils aiment et ignorer les autres indéfiniment. Très peu de gens perçoivent désormais les albums tels qu’ils ont été pensés: pour être appréciés comme un tout. De surcroit, les artistes eux mêmes, n’envisagent plus le format en fonction de sa spécificité. Avec la nécessité d’être en permanence dans l’oeil du cyclone de l’actualité, ils sont nombreux à rééditer leurs albums avec des bonus régulièrement pour faire vivre le disque. De ce fait, l’album a de moins en moins cette allure d’instantané définitif. Il devient un brouillon permanent pour se maintenir hors de l’eau. Autre écueil très contemporain: de nombreux groupes font des albums trop tôt dans leur développement. Avec l’augmentation des prix des pressages de vinyles, le 45 tours a presque disparu. Les groupes qui auraient ainsi autrefois réalisé un single font désormais des 33 tours, mais sans toujours avoir suffisamment à dire !
Les albums c’est bien !
Bien abordé, un album est une œuvre judicieuse et pertinente. J’ai une affection particulière pour les formats cours (je pense que le ratio entre eux et les LPs ici en témoigne !) mais je sais aussi apprécier la beauté d’un album. Il y a quelque chose d’élégant et gracieux dans une œuvre pensée comme un tout et dans laquelle l’artiste s’est impliqué pour nous faire voyager. Comme souvent la vérité se situe certainement dans la nuance: il faut que l’album puisse cohabiter sereinement avec d’autres formats pour s’épanouir et nous apporter toujours autant.