PRATIQUE: Peut-on encore faire des vinyles complètement analogiques?

Il y a deux ans, le label haut de gamme (et snob) MoFi faisait couler beaucoup d’encre. Nous apprenions en effet que leur supposé technique DSD comprenait malgré tout un passage vers le numérique. En soi, c’est la norme dans l’industrie du disque mais le label revendiquait fièrement ne pas procéder ainsi. Il est en effet possible de faire des vinyles complètement analogiques mais ce n’est pas si simple, nous allons détailler pourquoi !

Rappel: l’analogique n’est pas supérieur au numérique

Dans mon article contre démarrer une collection de vinyle en 2023 (il y a aussi du pour rassurez vous), un de mes arguments concernaient la qualité sonore supposée meilleure du support vinyle sur le CD. Il y a toute une mythologie autour de la supériorité supposée de l’analogique, sa chaleur, sa rondeur etc. Dans les faits:

  • il existe très peu de vinyles analogiques depuis leur enregistrement jusqu’à leur commercialisation
  • cela dépend aussi si ce n’est plus de la maîtrise par les ingénieurs (sons, mastering etc.)
  • la qualité du pressage en lui même importe aussi beaucoup (et on connaît les problèmes de contrôle qualité actuels en plus de leur prix trop élevé).

Bref je pense qu’il est important de faire avant tout confiance à ses oreilles plutôt qu’à une démarche qui relève parfois plus de l’argument marketing (le cas MoFi est typique) que d’une quête de pureté sonore. Maintenant voyons comment il est possible dans les faits d’avoir des vinyles analogiques de bout en bout en 2024.

Analogique et Numérique

L’analogique est la méthode traditionnelle d’enregistrement. Dans les années 70, surtout à partir de la fin de la décennie se développe le numérique (digital en anglais). Le numérique est une compression de l’onde originale afin de pouvoir la reproduire à l’infini (pour en savoir plus). En effet, à chaque étape analogique, il faut transférer le son et celui se dégrade légèrement en récupérant du souffle. Plus le matériel est bas de gamme plus ce souffle est important. Tout cela a conduit à l’usage de plus en plus important chez les professionnels du numérique. Pour le numérique, la fréquence d’échantillonnage et la résolutions sont les données les plus importantes. Si le CD est encodé en 44,1 kHz (fréquence échantillonnage) et 16 bits (résolution), il est courant dans le haut de gamme d’enregistrer/mixer/masteriser à des valeurs supérieures telles que 96kHz et 24 bits. Mais voyons ces différentes étapes.

Première étape: l’enregistrement

L’enregistrement est certainement l’étape la plus simple à concevoir en analogique. Pour se faire, il suffit d’enregistrer sur bandes ou cassettes audio (pas de DAT évidemment !). Si les prix ont augmenté, il est toujours possible de se procurer des bandes 1/4 de pouces ou 1/2 pouce neuves, même Thomann en propose ! Les cassettes audios sont également disponibles en neuf et on trouve aussi des dead stocks sur eBay et consorts. On recommande évidemment d’enregistrer sur des versions chrome plutôt que standard ! Il est important d’entretenir le matériel. On se dirigera vers des marques comme Yamaha, Fostex et surtout Tascam, la marque la plus réputée pour les 4/8 pistes notamment à cause de la série portastudio !

Ensuite vient le mixage

Si actuellement, de plus en plus de personnes font le mixage in the box , c’est à dire directement sur ordinateur, historiquement c’était sur de très belles et luxueuses consoles analogiques. Cela permettait de profiter des pré-amps et des égaliseurs de ces dernières. Vous veniez au studio avec vos bandes sous les bras et hop on envoie ça dans la console. Attention, si vous voulez conserver un signal 100% analogique, vous devrez vous passer de nombreux effets de studio tels que la majorité des reverbs (seules les plates et spring sont analogiques) ou échos (sont analogiques: les BBD et les tape delays).

Puis le mastering

Le mastering est souvent une étape incomprise mais pourtant fort nécessaire pour rendre la musique présentable. Pendant cette étape, l’ingénieur son va tenter d’homogénéiser les différents morceaux et leur applique une couleur générale, un peu comme l’étalonnage au cinéma. À cette étape, le travail va ainsi consister à rendre l’ensemble plus efficace (en réduisant la dynamique avec de la compression) et également à essayer de chercher un ensemble plus aéré et agréable (suppression de quelques fréquences trop présentes etc.). Cette étape est particulièrement cruciale dans notre circuit vinyles analogiques car elle est désormais largement réalisé en numérique. Les outils numériques permettent un raffinement dans la sculpture du son très difficile à concrétiser en analogique. Surtout le matériel analogique coûte une blinde en comparaison de son équivalent numérique. Bref il faudra ramener votre bande mixée à un ingénieur qui a du matériel pour la lire et la possibilité de l’envoyer dans un circuit analogique ! Délicat !

Enfin le pressage

Attendez ! Revenez ! Il y a encore une étape de plus chez l’ingénieur mastering: ce dernier doit réaliser une laque et l’envoyer chez le presseur. Cette étape consiste à graver un vinyle dans une matière spéciale (acetate) avec une sorte de platine inversée. Ensuite l’ingénieur doit envoyer ces acetates à l’usine qui va réaliser une galvanoplastie et un stamp (un tampon) négatif qui va permettre de presser le vinyle. Il faut ainsi passer par un presseur qui travaille avec des stamps plutôt qu’en DMM. Le marché me semble assez équitablement réparti entre les deux méthodes. Il est important cependant que vous puissiez avoir la main sur la gravure de laque car sinon cela implique une intervention numérique: envoyer les fichiers à l’usine de pressage.

le SPARS code

SPARS pour Society of Professional Audio Recording Service. Dans les années 80, lors de l’émergence du compact disc, un système de classification est mis en place pour aider les consommateurs et faire de la pédagogie. C’est les fameux AAD, DDD, ADD etc. au dos des pochettes ! Utile pour mieux comprendre le transport du son depuis sa captation jusqu’à votre salon.

  • A et D correspondent respectivement à Analog (Analogique) et Digital (Numérique)
  • la première lettre désigne le type d’enregistrement qui a capté la source
  • la deuxième lettre désigne le type de console de mixage
  • la troisième lettre lettre désigne l’étape de mastering.

Pour un vinyle des années 70 le résultat sera souvent AAA tandis que les CDs sont nécessairement au moins AAD par exemple pour le rééditions d’albums des années 60/70. Parmi les premiers albums DDD nous trouvons Zoolook de Jean Michel Jarre, Body & Soul de Joe Jackson, Brothers In Arms de Dire Straits, ou encore Notorious de Duran Duran !

Oui c’est possible de faire des vinyles complètement analogiques

À condition de faire attention à toutes les étapes et surtout de dépenser pas mal d’argent ! Car oui cette approche a un coût non négligeable sur le coût d’enregistrement et les étapes suivantes. Parmi les exemples me venant en tête: Songs and Instrumentals d’Adrianne Lenker ou la série Third Man Live sur le label de Jack White.

Mais pas forcément mieux

Je pense que la question de la qualité supérieure sonore du vinyle reste anecdotique dans la démarche mais en admettant que ce soit un critère essentiel pour vous et que le pressage soit propre: il est tout à fait possible d’avoir des vinyles supérieurs à des CDs standards à partir d’une source numérique pour peu que celle-ci soit supérieure en résolution et fréquence d’échantillonnage à celle utilisée sur le CD. Surtout, je pense que comme tous les médias ayant des contraintes, les oreilles et le professionnalisme des ingénieurs sons vont beaucoup plus faire la différence que la nature analogique ou numérique des sources ! Bref faites confiance à vos oreilles: si vous aimez le son d’un disque c’est le plus important.

Pour aller un peu plus loin: les sources des rééditions

Dans le très haut de gamme, avec des prix délirants, il est coutume désormais d’avoir des vinyles analogiques de bout en bout. Reste que ce n’est pas si simple que cela. Il faut pouvoir avoir accès à la bande master d’origine ou d’une génération proche (c’est à dire une sourcée depuis la source originale par exemple) pour faire un vinyle AAA. Sans compter que de nombreux albums postérieurs au milieu des années 80 ont eu des interventions numériques !

Dans de nombreux cas, les labels d’origine vont fournir des fichiers numériques de haute résolution (c’est râpé pour le full analog). Parfois les rééditions sont mêmes sourcées depuis des vinyles originaux. On appelle cette technique le needle drop et elle est plus fréquente qu’on l’imagine. Il est en effet parfois impossible de localiser une bande master et il faut donc repartir de la source la plus propre que nous connaissions.

Comme mentionné plus haut: l’important est de faire confiance à vos oreilles et de prendre du plaisir en écoutant un album. Si vous êtes dans une démarche audiophile avec le matériel adéquat, pourquoi ne pas opter effectivement pour des rééditions haut de gamme ? Mais ce n’est pas une obligation pour apprécier la musique gravée dans les sillons.

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