Jersey Boys est un film de 2014, réalisé par Clint Eastwood, adapté de la comédie musicale du même nom, créée en 2005. Le film raconte les débuts du mythique groupe de doo-wop nord-américain (du New Jersey évidemment) les Four Seasons et notamment de leur fameux chanteur Frankie Valli.
Nous sommes d’abord plongé dans les années 50 et croisons les différents membres du groupe dans leur quotidien. Prison et mafia pour certains, apprenti coiffeur pour d’autres. Tous d’origine italienne, d’un milieu modeste, la musique est l’un des rares échappatoires à l’armée ou la mafia. Clint Eastwood prend ici beaucoup de plaisir à retraduire l’ambiance de l’époque. Le film est ainsi baigné d’une teinte presque cireuse.
Pendant 134 minutes nous suivons ainsi l’ascension des Four Seasons et leur chanteur vedette Frankie Valli. Parmi les moments marquants de Jersey Boys, la rencontre avec Bob Gaudio (compositeur principal du groupe) ou Bob Crewe (producteur des sixties). Amours, mafias, numéros un qui se suivent: tout y passe ! Le film s’autorise cependant quelques licences afin de condenser l’histoire sur les années 50-60, en dehors d’une ellipse en 1990.
Jersey Boys est une œuvre attachante. Probablement pas le premier film à recommander dans la longue filmographie de Clint Eastwood, mais il traite de son sujet avec une tendresse. La musique est évidemment fantastique et John Lloyd Young, déjà présent dans le casting de la comédie musicale, effectue un travail formidable pour reproduire le falsetto si singulier de Frankie Valli. Le reste du casting est excellent et je trouve Christopher Walken (le nom le plus connu ici) assez crédible en parrain de la mafia locale. Les scènes de concerts, studios ou télévisions sont très réussies et font beaucoup pour rendre cette matière aussi vivante que possible !
Le film a aussi ses écueils. Le premier d’entre eux reste cette longueur généreuse. 134 minutes ! Je pense que le film aurait gagné à faire facilement une demi heure de moins. Il n’aurait pas été absurde de délimiter un peu plus le sujet, plutôt que vouloir couvrir autant. Peut-être que ce défaut est déjà présent dans la comédie musicale ? Nous en arrivons à l’autre défaut majeur de Jersey Boys: les nombreux arrangements avec la réalité, pour tout caser. En soi, il n’est pas un problème dans un film de s’éloigner du matériel original mais il faut, cependant, essayer de garder une justesse, ne pas s’autoriser des interprétations en contradiction avec les faits. Ici, pour moi, la limite est parfois franchie (1).
Jersey Boys reste cependant un film agréable à regarder, avec une musique géniale, celle des Four Seasons et tous leurs hits (Can’t Take My Eyes off You, Sherry, December 1963 etc.). Il est passionnant de se plonger dans cette période assez méconnue de la musique pop, c’est à dire avant l’émergence des Beatles et le raz de marée associé (la british invasion, le garage etc.). Il est intéressant de prendre chacun des membres du groupe comme narrateur, même si ce dispositif n’est pas si évident à remarquer avant la scène des retrouvailles (où il est très explicite). J’aurais vraiment aimé, pour ma part, que le film s’autorise un peu moins de libertés avec les faits. Ces derniers suffisent largement à créer une histoire passionnante à raconter et montrer !
note personnelle: 3,5/5
(1) Explicitons un peu les arrangements qui m’ont dérangés. Je les place en dehors de la critique principale pour ne pas vous divulgâcher l’histoire et certains de ses ressorts ! S’il y a des interrogations sur l’intégration de Bob Gaudio au groupe, la version proposée n’est pas un problème. Deux évènements posent en revanche sérieusement questions !
Tous les membres fondateurs (sauf Frankie Valli) quitte le groupe presque en même temps dans le film. Lors d’une réunion chez le parrain de la mafia, Tommy De Vito et Nick Massi partent. Dans une séquence très rapprochée, Bob Gaudio annonce à son tour son retrait des tournées. On imagine les séquences se passer autour de 1965.
Dans les faits, les trois musiciens sont partis à des moments différents, étalés sur presque dix ans ! Nick Massi jette l’éponge en 1965, Tommy DeVito en 1970 et enfin Gaudio se retire des concerts quelques années plus tard (vers 1973). À ce départ massif s’ajoute dans Jersey Boys, le décès de la fille de Frankie Valli: Francine. Voilà donc Frankie Valli complètement acculé. Or, dans les faits, ce tragique événement se déroule en 1980.
Dans le film ces deux évènements servent à illustrer le rebond de Frankie Valli. Celui-ci se matérialise par une scène où il chante Can’t Take My Eyes off You que Gaudio lui apporte, un peu avant. La chanson, dans Jersey Boys, a alors des allures de rédemption. On voit bien ce qui me gène ici: une recontextualisation à la hache d’un titre de 1967 sur des évènements qui ont surtout eu lieu après sa sortie ! Je trouve ça dommage car ce mensonge n’amène ici pas à une vérité mais à une interprétation qui se distancie, au contraire, de la réalité.