MATERIEL: la saga des Juno (6-60-106) de Roland

Au début des années 80, la société japonaise Roland Corporation est au top de sa forme et sort de nombreux classiques. Jupiter-8 (1981), TR-808 (1981), TB-303 (1982) ou TR-909, la période ne manque pas de tubes (ou futurs objets cultes) dont la fameuse série des trois synthétiseurs Juno: Juno-6 (1982), Juno-60 (1982) et Juno-106 (1984).

Du monophonique à la polyphonie

Au départ les premiers claviers à synthèse soustractives sont monophoniques: ils ne permettent de ne jouer qu’une seule note à la fois. De nombreuses machines cultes sont ainsi monophoniques, par exemple le Minimoog (1970), le Korg MS-20 (1978) ou l’Arp Odyssey (1972).

Il existe en parallèle de la synthèse soustractive, d’autres technologies, inspirées des orgues à transistors des années 60 (Vox, Farfisa etc.). Cela donne des string machines comme le Crumar Multiman-S ou le Solina String Ensemble ou la série RS (101/202) de Roland. Ces synthétiseurs sont polyphoniques mais ne sont pas à synthèse soustractive.

Il faut attendre le milieu des années 70 et surtout la fin de la décennie pour voir arriver les premiers synthétiseurs analogiques polyphoniques. Parmi les premiers modèles commercialisés figurent le mythique CS-80 (1977) de Yamaha, le Prophet 5 (1978) de Sequential ou l’OB-X d’Oberheim (1979). Roland colle au train de ses collègues japonais et américains et propose le Jupiter-4 en 1978. Celui-ci a la particularité de s’adresser à un public plus large avec un prix agressif (quand le CS-80 est le haut de gamme par exemple).

VCO et DCO

Après cet essai concluant, la société japonaise lance un chantier beaucoup plus ambitieux: ce sera le mythique jupiter-8 en 1981. Cette machine constitue le pinacle de cette période pour Roland: une œuvre d’art avec 8 voix en VCO (voltage controlled oscillators). Evidemment, le prix est en conséquence et destine l’outil aux professionnels les plus aventureux. Roland ne néglige pas pour autant d’autres segments du marché et pensent à aux moins argentés. La compagnie développe alors la série Juno (en restant dans la thématique dieux et déesses romains !) pour répondre à cette demande et à la concurrence du Korg Polysix (1981).

L’architecture des Juno sera beaucoup plus simples et le moteur de synthèse poussé désormais par des DCO (digital controlled oscillators). Ces puces DCO permettent de faire quelques économies. Il faut en effet garder en tête qu’un synthétiseur polyphonique analogiques multiplie les circuits par le nombre de voix. Un 4 voix aura 4 oscillateurs (ou 8), 4 enveloppes, 4 filtres etc. Roland aura à cœur, avec cette série, de faire des instruments de qualité mais abordables. Les ingénieurs japonais chercheront alors aussi à optimiser les circuits. Sur la dernière génération de juno historique (juno-106), le synthétiseur utilise, par exemple, une puce par voix qui combine certaines fonctions (filtre, enveloppe etc.): la 80017A. Le mythique (et sublime) chorus de Roland est une autre astuce des concepteurs de la maison. Pour grossir le son (les Juno n’ont qu’un seul oscillateur par voix), Roland a intégré cet effet sonore qui simule un ensemble, une pratique déjà populaire du temps des string machines.

la série juno

Le Juno-6 est le tout premier synthétiseur de la série. Il sort en 1982, il est très vite remplacé (toujours en 1982) par le Juno-60. Ces deux machines sont généralement considérées comme très proche au niveau sonore mais ont quelques différences. En effet, la deuxième machine apporte des nouveautés très utiles vis à vis de la première mouture: la synchronisation en DCB (pré-midi) et surtout la possibilité de sauvegarder des presets ! Les deux instruments disposent d’un arpégiateur (que l’on peut déclencher par trig !).

Deux ans plus tard, sort enfin le juno-106, la plus populaire (en terme de vente en tout cas). S’il abandonne l’arpégiateur, il augmente le nombre de presets sauvegardables et offre finalement une interface midi (système adopté par l’industrie en 1983). Il a une personnalité sonore légèrement différente du 6/60. Généralement les utilisateurs trouvent les deux premiers un peu plus mellow et 70s quand le dernier évoque d’avantage les années 80 avec un son plus brillant.

le son juno

Des petites différences mais les trois juno sont universellement apprécié des connaisseurs. Les gens portent généralement leur choix sur le 106 car son interface midi le rend encore pertinent dans des set ups modernes malgré les défaillances connues de la puce 80017A (coulée dans l’epoxy pour éviter les copies des concurrents !). Tous les juno historiques sont cependant très appréciées et recherchées pour de bonnes raisons.

Ces machines de Roland sont des synthétiseurs analogiques avec une architecture simple et efficace. La société japonaise, en cherchant à optimiser les processus industriels, a créé des machines logiques et abordables pour créer ses sons, aussi bien sur le plan financier qu’intellectuel. Surtout, les juno sonnent bien et se mélangent bien (ils sonnent tout de suite dans un mix). Ce sont des instruments avec de nombreux sweet spots (des réglages où le synthé brille) qui les rendent très faciles à utiliser.

Toutes ces raisons ont fait de la série juno un incontournable des années 80. Que ce soit dans les tubes italo-disco, la synth-pop britannique, la pop mainstream ou la musique électronique des années 90 on a entendu les juno partout ! Quelques exemples en vrac: Born Slippy d’Underworld, Everything she wants (et bien sûr last christmas de la même session) de Wham!, Washing Machine de Mr Fingers, Sweet Dreams d’Eurythmics, Voyager ou Rollin and Scratchin de Daft Punk, take on me de A-Ha, Time after Time de Cyndi Lauper etc. le 106 est également très populaire dans la scène indépendante et utilisé (plus que de raison ?) par Mac DeMarco ou Tame Impala (sur son classique Currents en 2015 !).

Les Juno sont connu pour leur son rond et doux, voir cristallin. Ce sont des instruments parfaits pour la musique pop, ils excellent dans les pads, les horns 80s, les arpèges (basse ou lead), les stabs etc. Le chorus est réputé avoir un son sublime mais souffle énormément. Leurs simplicités d’utilisation en font des machines idéales pour de nombreux musiciens pour programmer des presets sur le vif et en situation.

Tableau récapitulatif

Pour y voir plus clair !

Juno-6Juno-60Juno-106
Année de sortie198219821984
Nombre de voix666
ChorusOuiOuiOui
SYNCTrigTrig / DCBMIDI
Presets/mémoireNonOuiOui
Type et nombre oscillosDCO / 1DCO / 1DCO / 1
ARPOuiOuiNon
Portamento polyphoniqueNonNonOui
Prix Occasion (AF)1700€2000€1700€

Pour les prix d’occasion je me suis référé à l’argus d’Audiofanzine.

À noter que le moteur sonore des juno se retrouve dans le rack MKS-7 et le synthétiseur grand public HS-60.

Après les juno

En 1983, la sortie du DX7 de Yamaha révolutionne le monde feutré des synthétiseurs. Son interface FM est minimaliste, la programmation de presets très difficile. Roland comme ses collègues (Korg, Casio, Ensoniq etc.) cherche une réponse adaptée. Pendant quelques années, Roland continue à travailler la synthèse analogique mais en dépouillant les interfaces pour les orienter vers la lecture de presets (plutôt que la création de son sur le vif). Cela donnera notamment les deux alpha-juno au milieu des années 80. S’ils portent la dénomination juno se sont des synthétiseurs assez différents aussi bien niveau son qu’architecture. Ce sont d’excellentes machines sous-cotées (opinion personnelle) qui permettent notamment de créer le fameux son hoover si populaire dans le old skool hardcore et la techno des années 90 ! Après cette phase de transition, Roland va rebondir dans l’ère numérique grâce au magnifique D-50 en 1987. La marque juno, très populaire continue d’être régulièrement mobilisée par Roland mais pour des synthétiseurs VA généralement. Il existe aujourd’hui de nombreuses solutions en neuf (ou en occasion) pour se rapprocher du son des juno !

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