OPINION: la place du français dans la musique indépendante actuelle

Il y a presque 12 ans j’explorais intensivement la thématique du français sur notre précédent blog Requiem Pour Un Twister. En 26 articles, la série Conjuguons la Pop essayait de faire découvrir des propositions du passé et du présent dans notre belle langue. Ces groupes venaient (et viennent pour ceux qui sont encore actifs !) de France ou du Québec mais avaient en commun de s’exprimer dans une autre langue que l’anglais. En 2024 j’ai l’impression que le choix de chanter en français pose toujours encore des questions dans l’univers dans lequel je gravite (le rock et la pop indépendante).

Avant propos: j’adore certains groupes français qui chantent en anglais. Chacun est libre de choisir la forme qui lui convient. Ce texte a juste pour objectif de montrer que le français est une possibilité.

Comment j’ai redécouvert le français

Mon frère et moi avons baigné dans un environnement musique très marqué par les groupes anglosaxons des années 60/70. À la maison on écoutait les Beatles, les Kinks, les Animals, les Yardbirds, Hendrix, Queen mais aussi Prince, Quincy Jones, Chicago etc. Seule quelques K7 d’Alain Souchon dans la voiture de ma mère nous ont soustrait à cette musique anglophone. Je me rappelle aussi que mon père nous avait beaucoup parlé de Magma: un groupe français qui chantait dans une langue inventée par ses soins ! Bref je n’ai pas été confronté pendant l’enfance à la musique française. À l’adolescence, les choses se sont un peu assoupli: la popularité d’IAM ou Noir Désir pendant le collège ont légèrement fait entrer la langue française dans ma vie musicale. Le vrai changement a cependant eu lieu un peu plus tard, probablement au début de ma vingtaine ou juste avant. À travers les compilations Nuggets j’ai creusé le rock des années soixante. Avec le deuxième volume (la longbox en CD dédiée à tous les pays en dehors des USA), j’ai eu l’ouverture que je cherchais. Presque 20 ans plus tard, cette marotte m’est restée et j’ai d’ailleurs fait ici même une série dans ce sens (Le Tour du Monde) ! Ecouter de la musique venant d’ailleurs que des pays traditionnels du rock (Angleterre, Etats Unis, peut être Canada et Australie) m’a poussé à me réintéresser à mon patrimoine: celui de l’Hexagone de la même période. Le premier choc esthétique fut pourtant québécois: une reprise de purple haze par The Haunted, un groupe montréalais. Il a aussi d’ailleurs inspiré le nom d’un fanzine et un label dédié aux années 60/70 (Vapeur Mauve) ! Après cela arrivèrent les compilations: Ils sont fous ces gaulois, Psychédélices, O toi Beatnik, Psyché-Gaélics, Wizzz etc. J’étais lancé et j’ai gardé une habitude depuis: existe-t-il un équivalent francophone à ce style musical que je suis en train de découvrir ?

Un “bilan” depuis une dizaine d’années

Cette série d’articles était intervenue à un temps fort pour le français dans les scènes rock et indie-pop hexagonales. Dans ces années là émergent en effet La Femme, Aline, Pendentif, Granville, Mustang ou Lescop. Il y avait de quoi être optimiste pour le futur ! Depuis les choses ne semblent pas avoir tant bougé que ça et même un peu reculé depuis le début de la décennie (2020). Il y a eu une réappropriation du français par toute une génération. Cette séquence a été suivi d’une percée du français à un niveau plus underground avec des groupes comme Taulard, Tôle Froide, les Stratocastors, Police Control, Entracte Twist etc. Mentionnons aussi Requin Chagrin ou Rémi Parson ainsi que toute la scène autour d’Aquaserge (Julien Gasc) ou Tricatel (Bertrand Burgalat). C’est peut être mon radar qui est en panne mais je trouve quand même qu’il y a de nouveau une défiance dans le groupes plus récents vis à vis du français. Dans la récente liste de R&F (décembre 2023) moins du 5eme des propositions chantent dans notre langue (Biche, Marek Zerba, Gwendoline, Sinaïve, Les Lullies, Alvilda ou Gaétan Nonchalant). Il y a certes le filtre des journalistes musicaux mais je pense que c’est aussi assez représentatif de la proportion actuelle dans les esthétiques qui m’intéressent (plus ou moins). Je pense que dans le garage, le post-grunge, le slacker, l’indie-pop le post-punk, le shoegaze, le punk etc. les groupes à chanter en français sont vraiment très très minoritaires.

L’anglais pour les groupes français est-il un problème ?

L’anglais n’est pas un problème non. Si un groupe est bon : il est bon quelque soit la langue. Je pense cependant que le français est un excellent outil pour se démarquer et apporter facilement une petite touche d’originalité. Quand on fait une musique très connotée (par exemple du rock sixties ou du post-punk), le français peut amener la petite étincelle pour que la sauce prenne. On peut évidemment le faire d’autres manières mais pourquoi ne pas essayer avec notre langue? Je pense que le français amène une vrai plus-value pour un auditeur francophone. Ayant moi même écouté de la musique anglophone pour une partie de ma vie, j’ai pu constater la différence en passant au français. C’est plus facile d’établir une connexion avec des textes en français qu’en anglais. J’aime énormément la musique anglophone mais j’éprouve quand même un plaisir particulier quand j’entends de la bonne musique dans ma langue natale.

L’absence de rôles modèles en français ?

Beaucoup de groupes évoquent la difficulté de chanter en français car cela ne leur semblent pas naturel. Je pense que nous autres, qui écrivons sur la musique, nous avons la possibilité de faire découvrir la richesse du patrimoine francophone. Celui-ci est bien plus qualitatif que l’on peut l’imaginer. Sans être un militant organisé de la chose, j’apporte régulièrement ma pierre à l’édifice en évoquant des disques intéressants chantés en français. Quelques exemples piochés dans mes papiers pour Section 26: Véronique Sanson, Etienne Daho, Ticket, Les Bowlers, Diane Tell, Dwight Druick, Harmonium, Eddy Mitchell, Marie et les Garçons, Les Coronados etc. Nos labels montrent également que nous essayons parfois de défendre le français (Yocto, Corridor, Garçon de Plage, François Club, Superets, Les Guillotines, La Houle etc.). Je crois sincèrement que presque toutes les esthétiques peuvent fonctionner en français.

La qualité des textes est un autre argument souvent avancé. Il n’est pas nécessaire de bien écrire pour s’exprimer dans notre langue, il suffit juste d’être sincère, peut être de travailler un peu mieux le rythme. Il y a ce mythe qu’il faut avoir la présence de Brel ou l’énergie adolescente de Noir Désir pour écrire en français. Non on peut faire absolument ce que l’on veut. Des textes drôles et cyniques comme les Olivensteins, des textes presque abstraits (Marie et les Garçons), de la pop très premier degré ou inspiré par les dystopies, bref tout est possible !

Une réflexion plus générale sur l’hégémonie anglosaxonne dans la musique

Plus tôt dans ce texte j’évoquais la découverte libératrice de la Nuggets 2 en ce qui me concernait. Depuis 15 ou 20 ans, j’ai ainsi aiguisé ma curiosité vers la musique de pays moins associés à l’idiome rock. Je les évoque d’ailleurs ici régulièrement, par exemple: Maroc (Golden Hands), Portugal (Smoog), Autriche (Novak’s Kapelle), Pologne (Romuald & Roman), Danemark (The Blue Van) ou Belgique (Alec Mansion). Certes les Etats Unis puis l’Angleterre ont montré le chemin et créer le vocabulaire mais à chacun ensuite de se servir de cet héritage à sa guise. Je pense que les médias anglosaxons ont toujours trop d’importance dans la constitution de ce que l’on considère comme étant le socle de la musique que nous aimons. Pourtant, on peut facilement se rendre compte en consultant Pitchfork qu’ils peuvent ne pas du tout être pertinents sur certains sujets. Leur liste des meilleures bandes originales est par exemple très incomplète et l’Europe y est évidemment très sous-représentée. Je pense qu’il nous appartient de nous émanciper et de proposer d’autres angles de lectures. Cela peut aussi passer par défendre l’expression française dans la musique indépendante.

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